source : http://www.lecourant.info/2012/02/22/ca ... -au-joint/
Cannabiculteurs en herbe, de la graine au joint
Par Héléna Pihen 22 février 2012 à 05:34
Culture - En France, de plus en plus de fumeurs de cannabis, las des risques liés au trafic et ne pouvant se rendre à Amsterdam aussi souvent qu’ils le souhaiteraient, ont choisi une autre alternative : ils font pousser leur herbe eux-mêmes.
La France, où la législation et la répression concernant l’usage du cannabis est l’une des plus sévères d’Europe, est aussi l’un des pays où l’on en consomme le plus. Dans un récent rapport, les spécialistes de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) constatent que depuis un peu plus de dix ans un nouveau phénomène est à l’œuvre : de plus en plus de personnes se laissent tenter par l’autoproduction.
En 2010, 4 millions de personnes auraient fumé au moins un joint au cours de l’année, 550 000 en fumeraient quotidiennement, et le nombre de consommateurs réguliers (à partir de dix fois par mois) serait de 1,2 millions. Parmi ces consommateurs, certains font le choix de cultiver eux-mêmes leur herbe. Les estimations pour 2010 font état de 150 000 à 300 000 personnes qui feraient pousser de la marijuana, et pour 50 000 d’entre eux cela constituerait leur unique mode d’approvisionnement.
Pourquoi cultiver du cannabis ?
On peut aussi bien cultiver cette plante en extérieur (outdoor), qu’en intérieur (indoor). Ainsi beaucoup ont converti un bout de jardin, un garage ou encore un placard en terrain de culture. Pourtant, rappelons-le, cultiver du cannabis est illégal et puni par la loi. Le cannabiculteur qui se fait prendre risque au maximum une peine de 20 ans de réclusion criminelle ou une amende de 75 000 euros. Mais alors, comment expliquer que de plus en plus de jardiniers en herbe se lancent dans l’autoproduction ?
Simon, 20 ans, étudiant à Paris a bien voulu répondre à nos questions :
Qu’est-ce qui vous a motivé à faire pousser votre herbe ?
Simon : « Il s’agit avant tout de faire des économies, de tendre à l’autosuffisance et d’éviter les risques liés au trafic ».
Combien avez-vous investi et est-ce rentable?
« J’ai investi 400 euros, ma première récolte a été de 100 grammes, et m’a permis de rembourser l’équivalent de deux fois le prix du matériel.»
Cela nécessite-t-il un savoir-faire particulier ?
« J’ai pu demander conseil au vendeur lors de l’achat du matériel, mais je me suis surtout documenté sur Internet, grâce aux nombreux sites et forums consacrés à la culture Indoor. »
Est-ce une situation stressante ?
« Oui, j’ai notamment refusé d’inviter chez moi certaines personnes. De plus lors de périodes d’absence j’ai dû déplacer mes 2 plants chez une personne de confiance, et cela n’a pas été évident, ce fut un moment très stressant, angoissant même, je savais que je risquais gros. »
Malgré la connaissance du risque, vous vous êtes quand même lancé dans l’aventure. Pourquoi ?
« Après l’évaluation du rapport bénéfices/risques, j’ai estimé que ça valait la peine de tenter ma chance, je ne cultive que quelques pieds et de façon ponctuelle. Je ne deale pas, et si je n’ai plus a déplacer mes pieds, les risques de me faire prendre sont quasi-nul ».
Quel plaisir y trouvez-vous ?
« Je crois que voir grandir mes plantes et constater que les conseils que j’ai mis en application ont porté leurs fruits sont mes plus grandes satisfactions. L’aspect ludique de la botanique m’intéresse également. »
Des cannabiculteurs de tout âge
Le cas de Simon n’est pas unique, loin s’en faut. Et contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas les seuls à faire pousser du cannabis. Ainsi, André, 52 ans, cultive lui aussi son herbe. Lorsqu’on l’interroge sur ce qui l’a motivé, il déclare « en avoir assez de trouver des produits pas très bons, et souvent trop chers ».
Pierre, 30 ans, affirme pour sa part avoir recours à l’auto-culture pour être sûr de fumer un produit de qualité, mais aussi pour ne plus avoir recours au marché noir, où le gramme d’herbe se vend à des prix exorbitants. Enfin, il loue « le plaisir de cultiver cette plante ». (tous deux interviewés sur France Info)
« On troque un danger contre un autre »
Pour le sociologue Julien Lefour, les cannabiculteurs « troquent un danger contre un autre ». En effet, les consommateurs sont ainsi préservés des dangers liés au trafic, mais « il faut être capable de modérer sa consommation tout en ayant à sa disposition une grosse quantité d’herbe ». Et comme on l’a vu avec Simon, rien qu’une première récolte peut rapporter 100 grammes. Dès lors il faut savoir faire rimer auto-culture avec auto-contrôle.
Enfin il faut rappeler les risques liés à la consommation de cannabis sur la santé : « dans l’ensemble et de façon qualitative, le cannabis fumé se comporte comme le tabac fumé. Les mêmes effets sont retrouvés, en termes de cancer, maladies cardio-cérébro-vasculaires ou respiratoires, avec le même impact aussi sur le risque de maladies infectieuses et sur la vie reproductive », selon le rapport de l’OFDT (in Cannabis, Données essentielles).
Le sujet sous l’emprise de cannabis peut également développer un sentiment d’anxiété, voire de paranoïa, et avoir des pertes temporaires de la mémoire. La consommation de cannabis accroît aussi les risques d’attaques cardiaques et d’infarctus.
À long terme, les effets du cannabis sur le psychisme peuvent parfois être graves, et notamment augmenter les risques de schizophrénie, de troubles bipolaires, de dépression et d’altération durable de la mémoire.
Héléna Pihen
Photo: Wikimedia Commons