Le boum de la délinquance, fléau d’Hortefeux
Posté: 21 Jan 2013, 04:31
Le boum de la délinquance, fléau d’Hortefeux
Par PATRICIA TOURANCHEAU
source : http://www.liberation.fr/societe/010158 ... -hortefeux
Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux l’a admis lui-même : il se trouve confronté à de «mauvais chiffres de la délinquance». Cambriolages et atteintes aux personnes flambent dans les statistiques. Dès aujourd’hui à l’Elysée, il participe à une réunion interministérielle convoquée par Nicolas Sarkozy. Demain, Hortefeux réunira à son tour tous les directeurs départementaux de la police et de la gendarmerie pour, dit-il, «taper du poing sur la table» et «fixer des objectifs» de lutte contre l’insécurité.
Dans ce contexte tendu, un officier de police d’Ile-de-France - vingt ans d’expérience - décrypte pour Libération, sous couvert d’anonymat, les carences du système, les effets pervers de la «politique du chiffre» et de la culture du résultat initiées en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Des orientations qui n’ont pas enrayé la criminalité et les violences. Parole de policier.
«La paix n’est pas quantifiable»
«Qu’on ne vienne pas me dire que la délinquance baisse, c’est de la flûte, de la démagogie. Sur le terrain, nous sommes toujours confrontés à la même merde, à des bandes de jeunes déracinés et désœuvrés qui se reconnaissent dans une culture des cités teintée d’américanisme et d’islamisme, et s’affrontent entre eux. Il existe toujours des zones de non-droit comme en Seine-Saint-Denis, et des grandes cours de récré de la délinquance comme dans les quartiers nord de Paris. En France, on crée des lois après chaque fait divers pour apaiser l’opinion publique. La plupart existent déjà sous d’autres formes ou sont inapplicables, comme ce texte pour réprimer les rassemblements dans les halls d’immeubles. Il faut prouver que l’individu a été remarqué dans l’entrée plusieurs fois et qu’il a fait obstruction au passage des gens. Après, on a le droit de l’interpeller.
«On sécurise des halls d’immeuble car les gens ne peuvent plus rentrer chez eux, essuient des insultes ou des menaces. Quand il y a des gardiens de la paix, il ne se passe rien. Les habitants sont contents de retrouver la tranquillité. Pas fous, les délinquants vont voir ailleurs. Mais la haute hiérarchie policière trouve qu’on n’interpelle pas assez et nous ordonne de nous déplacer dans des lieux chauds : "Allez plutôt faire des shiteux [fumeurs de cannabis,ndlr] à tel endroit !" Parce qu’il faut faire du chiffre. Dans leur tambouille numérologique, un type interpellé avec un ou deux grammes de haschich, ça compte pour une infraction constatée, un fait élucidé et une mise à disposition (MAD) à l’officier. Ça fait des bâtons dans les tableaux statistiques. C’est de la bâtonnite. Mais la pacification, comment ça s’évalue ? La paix, ce n’est pas quantifiable.»
«Autorisons et encadrons la consommation de cannabis»
«L’administration policière calcule aussi des ratios comme le nombre moyen d’interpellations par fonctionnaire. Dans certains secteurs calmes comme le VIIe ou le XVIe arrondissements de Paris, faut voir qui on arrête pour atteindre les quotas. Les gars qui se baladent avec un tire-bouchon couteau sont bons pour un port d’arme prohibé. Pareil, ça compte pour un fait constaté, un fait élucidé, et une MAD. Un jeune qui fume un joint dans le Ve arrondissement de Paris sera embarqué alors qu’un zy-va avec cinq barrettes de cannabis à Saint-Denis ne le sera pas. Il faut arrêter avec le cannabis, réglementer la consommation, enlever cette manne financière à la pègre et aux cités. Tant qu’on maintient l’interdit, les gens le bravent. En France, cela fait quarante ans que ça dure. Le shit fait les choux gras de la lutte contre la délinquance et on ne règle rien du tout. On ne réduira pas la consommation. Alors, autorisons et encadrons la consommation de cannabis comme en Hollande ou en Belgique, avec interdiction d’en prendre au volant - comme l’alcool - ou d’en donner aux enfants, car c’est dangereux, ne pas faire de pub ni inciter. On devrait plutôt passer à la vitesse supérieure contre le crack et l’héroïne. Si vous saviez le nombre d’étudiants ou lycéens interpellés en train de fumer un joint qui se retrouvent "stickés". Une fois fichés dans le Stic [Système de traitement des infractions constatés], ils ne pourront plus entrer dans la fonction publique ou prétendre à certaines professions. Souvent, les gardiens règlent le problème sur place. Si le gars chopé avec un chichon est un étudiant propre sur lui et qu’il ne ramène pas sa science, on écrase le joint ou la boulette de shit. Par contre, si on a affaire à trois gars virulents et récalcitrants, on trouvera le moindre prétexte pour justifier le contrôle, "cris et vociférations" par exemple.»
«Trente minutes maxi pour une plainte»
«L’accueil du public s’est nettement amélioré dans les commissariats. C’est un vestige de la police de proximité [mise en place sous le gouvernement socialiste de Lionel Jospin en 1997, ndlr]. Nicolas Sarkozy n’y croit pas et l’a sabordée en 2003. Moi, j’y crois à la police de proximité. Pas pour jouer au foot avec les mecs des cités, mais parce que la police doit être proche de la population. Nous incitons les femmes victimes de violences conjugales à porter plainte et les ados qui se font racketter, chouraver leurs portables. L’administration a décrété qu’un pékin ne doit pas attendre plus de trente minutes au commissariat pour enregistrer sa plainte. Mais on manque de personnel. Pour des violences en réunion, il faut le temps d’entendre la victime, de prendre les signalements de ses agresseurs, de lui présenter des photos du fichier Canonge [pour le signalement des personnes recherchées], c’est bien plus long et délicat que de traiter un vol à l’étalage. On ne peut pas standardiser. On essaie toujours de donner une suite non seulement aux plaintes, mais aussi à des nuisances ou des choses que des gens nous signalent dans des mains courantes ou à des courriers des habitants. Pour les différends, on convoque tout le monde pour les calmer. Pour le bruit dans certains immeubles, on passe, on revient, on fait des enquêtes de voisinage. Je ne supporte pas les violences gratuites. Ça commence souvent par : "Pourquoi tu me regardes toi ?" et ça part en live. De quel droit les gens devraient-ils baisser les yeux ? Ça fait mal au cœur de voir que des familles qui ont osé crier "faites moins de bruit !" la nuit se retrouvent caillassées, agressées, insultées.»
Des policiers qui manquent d’expérience
«En région parisienne, nous avons trop de jeunes policiers tout juste sortis de l’école qui manquent de savoir-faire et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Déjà, ils ont le même âge que les petites frappes, causent pareil, et se mettent à les tutoyer. Ce n’est pas bon. Même face à des crevures, il faut les respecter et les vouvoyer. Si l’autre lance "je vais niquer ta mère", le jeune flic ne peut parler sur le même registre du genre : "Tu vas voir, toi, comment je vais te dérouiller." Sinon, c’est bande contre bande. C’est dur quand on a 20-25 ans de se faire cracher dessus, insulter, caillasser, de recevoir des boules de pétanque, de devenir la cible de tirs de feux d’artifice ou de mortier. C’est humain que les ch’tos aient des mouvements de ras-le-bol. La qualité première d’un flic doit être de faire preuve de discernement. La seconde, c’est de maîtriser ses émotions, de rester froid et professionnel. L’action oui, pas la réaction. Même s’il y a plus de dérives en face que chez nous. Pour encadrer ces jeunes policiers, il faudrait éviter de laisser partir en province des sous-brigadiers ou des gens d’expérience. La seule solution pour les fidéliser en région parisienne, c’est le nerf de la guerre : l’argent. Les gardiens sont mal payés. Avec 1 700 euros par mois, on ne peut pas se loger et vivre dans de bonnes conditions. En France, on n’a pas les moyens de notre politique.»
Par PATRICIA TOURANCHEAU
source : http://www.liberation.fr/societe/010158 ... -hortefeux
Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux l’a admis lui-même : il se trouve confronté à de «mauvais chiffres de la délinquance». Cambriolages et atteintes aux personnes flambent dans les statistiques. Dès aujourd’hui à l’Elysée, il participe à une réunion interministérielle convoquée par Nicolas Sarkozy. Demain, Hortefeux réunira à son tour tous les directeurs départementaux de la police et de la gendarmerie pour, dit-il, «taper du poing sur la table» et «fixer des objectifs» de lutte contre l’insécurité.
Dans ce contexte tendu, un officier de police d’Ile-de-France - vingt ans d’expérience - décrypte pour Libération, sous couvert d’anonymat, les carences du système, les effets pervers de la «politique du chiffre» et de la culture du résultat initiées en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Des orientations qui n’ont pas enrayé la criminalité et les violences. Parole de policier.
«La paix n’est pas quantifiable»
«Qu’on ne vienne pas me dire que la délinquance baisse, c’est de la flûte, de la démagogie. Sur le terrain, nous sommes toujours confrontés à la même merde, à des bandes de jeunes déracinés et désœuvrés qui se reconnaissent dans une culture des cités teintée d’américanisme et d’islamisme, et s’affrontent entre eux. Il existe toujours des zones de non-droit comme en Seine-Saint-Denis, et des grandes cours de récré de la délinquance comme dans les quartiers nord de Paris. En France, on crée des lois après chaque fait divers pour apaiser l’opinion publique. La plupart existent déjà sous d’autres formes ou sont inapplicables, comme ce texte pour réprimer les rassemblements dans les halls d’immeubles. Il faut prouver que l’individu a été remarqué dans l’entrée plusieurs fois et qu’il a fait obstruction au passage des gens. Après, on a le droit de l’interpeller.
«On sécurise des halls d’immeuble car les gens ne peuvent plus rentrer chez eux, essuient des insultes ou des menaces. Quand il y a des gardiens de la paix, il ne se passe rien. Les habitants sont contents de retrouver la tranquillité. Pas fous, les délinquants vont voir ailleurs. Mais la haute hiérarchie policière trouve qu’on n’interpelle pas assez et nous ordonne de nous déplacer dans des lieux chauds : "Allez plutôt faire des shiteux [fumeurs de cannabis,ndlr] à tel endroit !" Parce qu’il faut faire du chiffre. Dans leur tambouille numérologique, un type interpellé avec un ou deux grammes de haschich, ça compte pour une infraction constatée, un fait élucidé et une mise à disposition (MAD) à l’officier. Ça fait des bâtons dans les tableaux statistiques. C’est de la bâtonnite. Mais la pacification, comment ça s’évalue ? La paix, ce n’est pas quantifiable.»
«Autorisons et encadrons la consommation de cannabis»
«L’administration policière calcule aussi des ratios comme le nombre moyen d’interpellations par fonctionnaire. Dans certains secteurs calmes comme le VIIe ou le XVIe arrondissements de Paris, faut voir qui on arrête pour atteindre les quotas. Les gars qui se baladent avec un tire-bouchon couteau sont bons pour un port d’arme prohibé. Pareil, ça compte pour un fait constaté, un fait élucidé, et une MAD. Un jeune qui fume un joint dans le Ve arrondissement de Paris sera embarqué alors qu’un zy-va avec cinq barrettes de cannabis à Saint-Denis ne le sera pas. Il faut arrêter avec le cannabis, réglementer la consommation, enlever cette manne financière à la pègre et aux cités. Tant qu’on maintient l’interdit, les gens le bravent. En France, cela fait quarante ans que ça dure. Le shit fait les choux gras de la lutte contre la délinquance et on ne règle rien du tout. On ne réduira pas la consommation. Alors, autorisons et encadrons la consommation de cannabis comme en Hollande ou en Belgique, avec interdiction d’en prendre au volant - comme l’alcool - ou d’en donner aux enfants, car c’est dangereux, ne pas faire de pub ni inciter. On devrait plutôt passer à la vitesse supérieure contre le crack et l’héroïne. Si vous saviez le nombre d’étudiants ou lycéens interpellés en train de fumer un joint qui se retrouvent "stickés". Une fois fichés dans le Stic [Système de traitement des infractions constatés], ils ne pourront plus entrer dans la fonction publique ou prétendre à certaines professions. Souvent, les gardiens règlent le problème sur place. Si le gars chopé avec un chichon est un étudiant propre sur lui et qu’il ne ramène pas sa science, on écrase le joint ou la boulette de shit. Par contre, si on a affaire à trois gars virulents et récalcitrants, on trouvera le moindre prétexte pour justifier le contrôle, "cris et vociférations" par exemple.»
«Trente minutes maxi pour une plainte»
«L’accueil du public s’est nettement amélioré dans les commissariats. C’est un vestige de la police de proximité [mise en place sous le gouvernement socialiste de Lionel Jospin en 1997, ndlr]. Nicolas Sarkozy n’y croit pas et l’a sabordée en 2003. Moi, j’y crois à la police de proximité. Pas pour jouer au foot avec les mecs des cités, mais parce que la police doit être proche de la population. Nous incitons les femmes victimes de violences conjugales à porter plainte et les ados qui se font racketter, chouraver leurs portables. L’administration a décrété qu’un pékin ne doit pas attendre plus de trente minutes au commissariat pour enregistrer sa plainte. Mais on manque de personnel. Pour des violences en réunion, il faut le temps d’entendre la victime, de prendre les signalements de ses agresseurs, de lui présenter des photos du fichier Canonge [pour le signalement des personnes recherchées], c’est bien plus long et délicat que de traiter un vol à l’étalage. On ne peut pas standardiser. On essaie toujours de donner une suite non seulement aux plaintes, mais aussi à des nuisances ou des choses que des gens nous signalent dans des mains courantes ou à des courriers des habitants. Pour les différends, on convoque tout le monde pour les calmer. Pour le bruit dans certains immeubles, on passe, on revient, on fait des enquêtes de voisinage. Je ne supporte pas les violences gratuites. Ça commence souvent par : "Pourquoi tu me regardes toi ?" et ça part en live. De quel droit les gens devraient-ils baisser les yeux ? Ça fait mal au cœur de voir que des familles qui ont osé crier "faites moins de bruit !" la nuit se retrouvent caillassées, agressées, insultées.»
Des policiers qui manquent d’expérience
«En région parisienne, nous avons trop de jeunes policiers tout juste sortis de l’école qui manquent de savoir-faire et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Déjà, ils ont le même âge que les petites frappes, causent pareil, et se mettent à les tutoyer. Ce n’est pas bon. Même face à des crevures, il faut les respecter et les vouvoyer. Si l’autre lance "je vais niquer ta mère", le jeune flic ne peut parler sur le même registre du genre : "Tu vas voir, toi, comment je vais te dérouiller." Sinon, c’est bande contre bande. C’est dur quand on a 20-25 ans de se faire cracher dessus, insulter, caillasser, de recevoir des boules de pétanque, de devenir la cible de tirs de feux d’artifice ou de mortier. C’est humain que les ch’tos aient des mouvements de ras-le-bol. La qualité première d’un flic doit être de faire preuve de discernement. La seconde, c’est de maîtriser ses émotions, de rester froid et professionnel. L’action oui, pas la réaction. Même s’il y a plus de dérives en face que chez nous. Pour encadrer ces jeunes policiers, il faudrait éviter de laisser partir en province des sous-brigadiers ou des gens d’expérience. La seule solution pour les fidéliser en région parisienne, c’est le nerf de la guerre : l’argent. Les gardiens sont mal payés. Avec 1 700 euros par mois, on ne peut pas se loger et vivre dans de bonnes conditions. En France, on n’a pas les moyens de notre politique.»