La guerre à la drogue a échoué : c'est l'Europe qui le dit
Posté: 12 Juil 2009, 23:00
La guerre à la drogue a échoué : c'est l'Europe qui le dit
Par Arnaud Aubron | Rue89
Souce : http://www.rue89.com/droguesnews/2009/0 ... qui-le-dit
Un rapport de la Commission constate l'échec total de dix ans de stratégies répressives. L'ONU en débat ce mercredi à Vienne.
Arrestation à Paris le 6 février (Audrey Cerdan/Rue89)
« Un monde sans drogues c'est possible. » Vertueux slogan derrière lequel se rangèrent, en juin 1998, au siège de l'ONU, les chefs d'Etat du monde entier, promettant rien moins que d'éradiquer en dix ans pavot, coca et cannabis de la surface du globe.
C'est pour évaluer, et éventuellement adapter, cette énième « guerre à la drogue » que se réunit ce mercredi à Vienne, après une année de réflexion, la Commission des stupéfiants de l'ONU, sorte de Parlement mondial de la lutte contre les drogues.
« La majorité des dommages observés proviennent des politiques menées, plutôt que des drogues elles-mêmes »
Rapport de la Commission européenne sur les droguesAutant dire qu'à la veille de cette importante réunion, la publication, mardi, par la Commission de Bruxelles, de son « Rapport sur les marchés mondiaux des drogues illicites (1998-2007) » fait plutôt désordre. L'économiste américain Peter Reuter, du think tank Rand, qui a mené les travaux, y conclue en effet :
« Aucun élément ne permet de dire que le problème des drogues a reculé sur la période 1998-2007. […] La situation s'est plutôt améliorée dans les pays riches, mais a empiré dans les pays en transition. »
Truisme pour qui connaît un peu la question, mais dans un rapport officiel de ce niveau (même s'il n'engage que ses auteurs : des experts internationaux réputés plutôt connus pour leurs sympathies antiprohibitionnistes), c'est un sérieux pas en avant. D'autant que le réquisitoire est aussi argumenté qu'implacable :
« Le nombre d'usagers d'héroïne et de cocaïne a augmenté. Le nombre d'usagers de cannabis a probablement reculé. […] Les prix au détail des drogues ont baissé dans les pays occidentaux, y compris dans les pays qui ont durci leur
législation contre les dealers, comme la Grande-Bretagne ou les
Etats-Unis. […] Aucun élément ne permet de dire que les drogues sont
plus difficiles à se procurer. […] Il n'y a aucune preuve que le contrôle des zones de production puisse réduire l'offre ou enrayer le trafic de drogues illicites. »
Petit coup de griffe au passage à l'imagerie des incorruptibles traquant les Al Capone des temps modernes :
« Les marchés des drogues illégales sont concurrentiels et ne sont pas
dominés par des cartels ou de gros dealers. Les liens avec le
terrorisme ou des insurrections armées sont importants, mais seulement
dans quelques endroits, comme en Colombie ou en Afghanistan. »
Avant d'enfoncer le clou au cas où un prohibitionniste aurait survécu à la charge :
« La prohibition des drogues a provoqué des dégâts involontaires importants, dont beaucoup étaient prévisibles. »
Bref, la guerre à la drogue est non seulement inutile et coûteuse, mais en plus, elle favorise la corruption, la grande criminalité et la prise de risques sanitaires par les usagers. Devant la presse, le Pr Reuter a ainsi résumé sa pensée : « La majorité des
dommages observés proviennent des politiques menées, plutôt que des
drogues elles-mêmes. »
Une conjonction de signes positifs
Reste à savoir ce que feront les Etats membres de ce brûlot, qui, ironie du sort, a été commandé par le vice-président de la Commission, Jacques Barrot, représentant l'un des Etats européens les plus répressifs. A en croire la coalition européenne d'ONG antiprohibitionniste Encod :
« L'évaluation était disponible en décembre 2008, mais pour des raisons obscures n'a pas été diffusée et [n'a été] publique qu'à l'ouverture de la session de
la Commission des stupéfiants. Autant dire qu'il y a peu de chances que cette évaluation ait une influence sur les résultats. »
Et comme l'a souligné mardi Carel Edwards, directeur des politiques antidrogues à Bruxelles :
« Une chose est sûre : le monde n'est pas prêt
à se diriger vers une libéralisation. Ni les Nations
unies, ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne. »
Attention toutefois, de ce point de vue les choses changent. Lentement mais elles changent. D'abord, comme l'ont souligné les auteurs du rapport, les politiques de réduction de la demande (qui consistent à soigner et à prévenir) s'imposent partout dans le monde. Même les politiques de réduction des risques (produits de substitution, échanges de seringues…) progressent elles-aussi, y compris dans les pays qui étaient le plus hostiles, comme… la France, les Etats-Unis, l'Iran ou la Chine.
Mais c'est surtout le changement de climat politique à Washington qui est vécu comme LA grande nouvelle par les antiprohibitionnistes du monde entier. Encod demande ainsi un « moratoire sur la politique des drogues ». Et ce essentiellement afin que l'équipe Obama ait le temps de mettre au point une nouvelle stratégie. Washington a en effet jusque-là veillé à ce qu'aucun pays ne dévie de la stricte orthodoxie prohibitionniste.
Barack Obama, qui a lui-même consommé herbe et cocaïne, semble vouloir défendre une politique basée sur la santé publique. Il a déjà promis que les raids fédéraux contre les dispensaires de marijuana cesseraient en Californie. Reste à savoir jusqu'où iront ses envoyés à Vienne, où l'on prend chaque année le pouls de la planète en matière de lutte antidrogues.
Un assouplissement américain trouverait en tous cas un écho favorable chez ses voisins du Sud. Le Bolivien Evo Morales, ancien leader des planteurs de coca, compte ainsi demander la déclassification de la feuille de coca (pas de la cocaïne) afin d'en accroître le commerce.
Tandis que trois anciens présidents latino-américains (le Brésilien Cardoso, le Colombien Gaviria et le Mexicain Zedillo) signaient, fin février, dans le Wall Street Journal un article intitulé : « La guerre à la drogue est un échec. »
Par Arnaud Aubron | Rue89
Souce : http://www.rue89.com/droguesnews/2009/0 ... qui-le-dit
Un rapport de la Commission constate l'échec total de dix ans de stratégies répressives. L'ONU en débat ce mercredi à Vienne.
Arrestation à Paris le 6 février (Audrey Cerdan/Rue89)
« Un monde sans drogues c'est possible. » Vertueux slogan derrière lequel se rangèrent, en juin 1998, au siège de l'ONU, les chefs d'Etat du monde entier, promettant rien moins que d'éradiquer en dix ans pavot, coca et cannabis de la surface du globe.
C'est pour évaluer, et éventuellement adapter, cette énième « guerre à la drogue » que se réunit ce mercredi à Vienne, après une année de réflexion, la Commission des stupéfiants de l'ONU, sorte de Parlement mondial de la lutte contre les drogues.
« La majorité des dommages observés proviennent des politiques menées, plutôt que des drogues elles-mêmes »
Rapport de la Commission européenne sur les droguesAutant dire qu'à la veille de cette importante réunion, la publication, mardi, par la Commission de Bruxelles, de son « Rapport sur les marchés mondiaux des drogues illicites (1998-2007) » fait plutôt désordre. L'économiste américain Peter Reuter, du think tank Rand, qui a mené les travaux, y conclue en effet :
« Aucun élément ne permet de dire que le problème des drogues a reculé sur la période 1998-2007. […] La situation s'est plutôt améliorée dans les pays riches, mais a empiré dans les pays en transition. »
Truisme pour qui connaît un peu la question, mais dans un rapport officiel de ce niveau (même s'il n'engage que ses auteurs : des experts internationaux réputés plutôt connus pour leurs sympathies antiprohibitionnistes), c'est un sérieux pas en avant. D'autant que le réquisitoire est aussi argumenté qu'implacable :
« Le nombre d'usagers d'héroïne et de cocaïne a augmenté. Le nombre d'usagers de cannabis a probablement reculé. […] Les prix au détail des drogues ont baissé dans les pays occidentaux, y compris dans les pays qui ont durci leur
législation contre les dealers, comme la Grande-Bretagne ou les
Etats-Unis. […] Aucun élément ne permet de dire que les drogues sont
plus difficiles à se procurer. […] Il n'y a aucune preuve que le contrôle des zones de production puisse réduire l'offre ou enrayer le trafic de drogues illicites. »
Petit coup de griffe au passage à l'imagerie des incorruptibles traquant les Al Capone des temps modernes :
« Les marchés des drogues illégales sont concurrentiels et ne sont pas
dominés par des cartels ou de gros dealers. Les liens avec le
terrorisme ou des insurrections armées sont importants, mais seulement
dans quelques endroits, comme en Colombie ou en Afghanistan. »
Avant d'enfoncer le clou au cas où un prohibitionniste aurait survécu à la charge :
« La prohibition des drogues a provoqué des dégâts involontaires importants, dont beaucoup étaient prévisibles. »
Bref, la guerre à la drogue est non seulement inutile et coûteuse, mais en plus, elle favorise la corruption, la grande criminalité et la prise de risques sanitaires par les usagers. Devant la presse, le Pr Reuter a ainsi résumé sa pensée : « La majorité des
dommages observés proviennent des politiques menées, plutôt que des
drogues elles-mêmes. »
Une conjonction de signes positifs
Reste à savoir ce que feront les Etats membres de ce brûlot, qui, ironie du sort, a été commandé par le vice-président de la Commission, Jacques Barrot, représentant l'un des Etats européens les plus répressifs. A en croire la coalition européenne d'ONG antiprohibitionniste Encod :
« L'évaluation était disponible en décembre 2008, mais pour des raisons obscures n'a pas été diffusée et [n'a été] publique qu'à l'ouverture de la session de
la Commission des stupéfiants. Autant dire qu'il y a peu de chances que cette évaluation ait une influence sur les résultats. »
Et comme l'a souligné mardi Carel Edwards, directeur des politiques antidrogues à Bruxelles :
« Une chose est sûre : le monde n'est pas prêt
à se diriger vers une libéralisation. Ni les Nations
unies, ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne. »
Attention toutefois, de ce point de vue les choses changent. Lentement mais elles changent. D'abord, comme l'ont souligné les auteurs du rapport, les politiques de réduction de la demande (qui consistent à soigner et à prévenir) s'imposent partout dans le monde. Même les politiques de réduction des risques (produits de substitution, échanges de seringues…) progressent elles-aussi, y compris dans les pays qui étaient le plus hostiles, comme… la France, les Etats-Unis, l'Iran ou la Chine.
Mais c'est surtout le changement de climat politique à Washington qui est vécu comme LA grande nouvelle par les antiprohibitionnistes du monde entier. Encod demande ainsi un « moratoire sur la politique des drogues ». Et ce essentiellement afin que l'équipe Obama ait le temps de mettre au point une nouvelle stratégie. Washington a en effet jusque-là veillé à ce qu'aucun pays ne dévie de la stricte orthodoxie prohibitionniste.
Barack Obama, qui a lui-même consommé herbe et cocaïne, semble vouloir défendre une politique basée sur la santé publique. Il a déjà promis que les raids fédéraux contre les dispensaires de marijuana cesseraient en Californie. Reste à savoir jusqu'où iront ses envoyés à Vienne, où l'on prend chaque année le pouls de la planète en matière de lutte antidrogues.
Un assouplissement américain trouverait en tous cas un écho favorable chez ses voisins du Sud. Le Bolivien Evo Morales, ancien leader des planteurs de coca, compte ainsi demander la déclassification de la feuille de coca (pas de la cocaïne) afin d'en accroître le commerce.
Tandis que trois anciens présidents latino-américains (le Brésilien Cardoso, le Colombien Gaviria et le Mexicain Zedillo) signaient, fin février, dans le Wall Street Journal un article intitulé : « La guerre à la drogue est un échec. »