Suisse :La dépénalisation du cannabis en douze questions
Posté: 24 Nov 2008, 09:56
FUMETTE | Un voile de fumée entoure encore l’initiative sur «une politique raisonnable en matière de chanvre». Formulée comme il se doit en termes généraux, celle-ci se borne à énoncer les grands principes d’une dépénalisation. Tout en laissant au législateur, si le texte est accepté le 30 novembre, la mission délicate de mettre en place les instruments d’une régulation du marché. En se basant sur la volonté des initiants, voilà déjà quelques éléments de réponses sur les questions concrètes qui restent aujourd’hui en suspens. Des éléments qui pourraient constituer les contours d’une éventuelle loi fédérale.
© KEYSTONE | L’initiative populaire pour «une politique raisonnable en matière du chanvre» se borne à énoncer les grands principes d’une dépénalisation du cannabis. Si le texte est accepté, le législateur aura la délicate mission de mettre en place les instruments d’une régulation du marché.
CÉDRIC WAELTI | 24.11.2008 | 00:03
Qu’est-ce qu’implique la dépénalisation envisagée ?
Les adultes pourront fumer librement du cannabis et en produire, mais uniquement pour leur consommation personnelle. La vente de cannabis sera autorisée mais contrôlée.
Qu’est-ce qui changera par rapport à aujourd’hui ?
Actuellement, la consommation et la production personnelle (et a fortiori la vente) constituent des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants. Le cannabis est considéré comme une drogue illégale au même titre que la cocaïne. Selon l’Office fédéral de la statistique, la Suisse comptait, en 2007, 211 000 fumeurs de cannabis (entre 15 et 69 ans) plus ou moins réguliers. Ces derniers sont rarement inquiétés par la police. En 2006, 34 138 consommateurs suisses de produits à base de cannabis (marijuana, hasch ou huile de haschisch) ont fait l’objet d’une dénonciation (Office fédéral de la police, 2007). Parmi eux, 27 070 étaient majeurs. Et les sanctions? Elles sont souvent inexistantes, comme le relève la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues (CFLD). La grande majorité des fumeurs pincés ont écopé d’une simple réprimande. Les récidivistes, eux, se voient infliger une amende oscillant entre 20 et 200 francs. La poursuite pénale en matière de consommation de cannabis étant symbolique, la dépénalisation ne changera donc pas la donne. Le débat est en réalité moral. «Fin de l’hypocrisie» pour les initiants. «Signal désastreux», soutiennent les opposants.
Les mineurs (moins de 18 ans) auront-ils aussi le droit de fumer ?
Non. Sur ce plan, l’initiative et sa loi subséquente ne changeront rien. Pour les ados, la fumette restera interdite. Il en va de même, évidement, pour la production et la vente.
Où pourra-t-on acheter son cannabis ?
Les auteurs de l’initiative imaginent un réseau de points de vente spécialisés. Un commerce qui sera contrôlé. «Il faudra la mise en place, comme pour les alcools, d’une régie fédérale, chargée de surveiller et de gérer cette activité», suggère la conseillère nationale socialiste genevoise Maria Roth-Bernasconi, membre du comité d’initiative.
«Les autorités délivreront des concessions de vente à un certain nombre de commerçants répartis sur le territoire national». Selon l’Institut de recherche économique de l’Université de Neuchâtel (IRENE), les boutiques de chanvre actuelles, illégales mais encore tolérées dans certains cantons, pourraient être remplacées par un réseau de 400 «boutiques» officielles.
Pourra-t-on produire du cannabis sur son balcon ?
Oui. D’ailleurs cela se fait déjà. Depuis les rafles de la police chez les chanvriers suisses qui cultivaient en plein champs, au Tessin notamment, la majeure partie de la production indigène se développe indoor. Les amateurs commandent des graines qu’ils font ensuite germer chez eux, à l’aide d’un substrat synthétique, placé sous lampe.
Pourra-t-on fumer un joint n’importe où ?
Non. Les amateurs de cannabis devront respecter les interdictions de fumer en vigueur dans certains établissements publics. Ils seront donc logés à la même enseigne que les amateurs de cigarettes. Dans l’esprit des initiants, les communes pourraient en outre prononcer des interdictions supplémentaires dans certains locaux municipaux.
Est-ce qu’un particulier pourra vendre de l’herbe à un voisin ou à une connaissance ?
Théoriquement non. Toutefois, économistes et policiers sont d’accord pour dire qu’un marché gris du cannabis subsistera. Son ampleur dépendra du montant de la taxe étatique. Plus celle-ci sera élevée et plus «le business parallèle» sera florissant.
Comment empêcher les mineurs d’acheter du cannabis ?
Les initiants demandent aux commerçants de procéder à de «sévères» contrôles d’identité lors de la vente. Des sanctions sont prévues contre les vendeurs qui seraient trop laxistes.
Qui va contrôler le teneur en THC et la qualité des produits vendus ?
Les autorités fédérales seraient chargées d’édicter des normes qualitatives et de définir un taux de THC «acceptable». Les opposants n’y croient pas. «On va produire du biscuit militaire, sans saveur, et le gâteau appétissant, lui, sera vendu dans la rue», assure le conseiller national Claude Ruey (lib-rad, VD).
La vente de cannabis sera-t-elle taxée ?
C’est clairement la volonté des initiants. L’Institut neuchâtelois Irene, dans son étude fouillée sur la dépénalisation, a aussi abordé cette question. L’organisme estime qu’en Suisse la production de cannabis rapporte entre 530 et 810 millions de francs. De l’argent qui, aujourd’hui, profite exclusivement aux trafiquants et aux producteurs clandestins, et dont l’Etat ne voit pas la couleur. Professeur d’économie à IRENE, Claude Jeanrenaud suggère que le montant de la taxe soit fixé de manière à maintenir le prix actuel (entre 8 et 13 francs le gramme). Sinon? «Une diminution du prix entraînerait une augmentation de la consommation assez forte», assure Claude Jeanrenaud. Ce dernier a calculé qu’une taxe pourrait rapporter près de 220 millions de francs aux autorités suisses. Un montant auquel il faudrait soustraire les frais de gestion de la taxe, et ceux inhérents au contrôle du taux de THC (10 millions). Soit un gain net annuel de 210 millions. Au-delà du bénéfice financier, assez modeste, c’est surtout le principe même de la taxe qui divise. Les partisans de l’initiative y voient l’opportunité d’affaiblir des organisations criminelles qui «tiennent» le marché. Les opposants, eux, refusent que l’Etat devienne «un dealer».
La dépénalisation va-elle entraîner une augmentation de la consommation ?
La littérature sur le sujet est aujourd’hui assez importante. Comme le relève la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, une majorité d’études ont démontré qu’il n’y avait en réalité pas de lien systémique entre la légalité ou l’illégalité du cannabis et la consommation. En revanche, comme l’explique le professeur Jeanrenaud, et à l’instar de la plupart des biens, c’est le prix qui peut influencer la demande.
Faut-il s’attendre à un tourisme du joint ?
Comme aux Pays-Bas (lire notre édition de vendredi) , il est clair que les futurs points de vente vont attirer des étrangers. Cela est surtout vrai dans les régions frontalières. Pour contrer les effets de ce tourisme, les initiants veulent limiter la vente de cannabis à des personnes domiciliées en Suisse.
source :http://www.24heures.ch/actu/suisse/depenalisation-cannabis-douze-questions-2008-11-23
© KEYSTONE | L’initiative populaire pour «une politique raisonnable en matière du chanvre» se borne à énoncer les grands principes d’une dépénalisation du cannabis. Si le texte est accepté, le législateur aura la délicate mission de mettre en place les instruments d’une régulation du marché.
CÉDRIC WAELTI | 24.11.2008 | 00:03
Qu’est-ce qu’implique la dépénalisation envisagée ?
Les adultes pourront fumer librement du cannabis et en produire, mais uniquement pour leur consommation personnelle. La vente de cannabis sera autorisée mais contrôlée.
Qu’est-ce qui changera par rapport à aujourd’hui ?
Actuellement, la consommation et la production personnelle (et a fortiori la vente) constituent des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants. Le cannabis est considéré comme une drogue illégale au même titre que la cocaïne. Selon l’Office fédéral de la statistique, la Suisse comptait, en 2007, 211 000 fumeurs de cannabis (entre 15 et 69 ans) plus ou moins réguliers. Ces derniers sont rarement inquiétés par la police. En 2006, 34 138 consommateurs suisses de produits à base de cannabis (marijuana, hasch ou huile de haschisch) ont fait l’objet d’une dénonciation (Office fédéral de la police, 2007). Parmi eux, 27 070 étaient majeurs. Et les sanctions? Elles sont souvent inexistantes, comme le relève la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues (CFLD). La grande majorité des fumeurs pincés ont écopé d’une simple réprimande. Les récidivistes, eux, se voient infliger une amende oscillant entre 20 et 200 francs. La poursuite pénale en matière de consommation de cannabis étant symbolique, la dépénalisation ne changera donc pas la donne. Le débat est en réalité moral. «Fin de l’hypocrisie» pour les initiants. «Signal désastreux», soutiennent les opposants.
Les mineurs (moins de 18 ans) auront-ils aussi le droit de fumer ?
Non. Sur ce plan, l’initiative et sa loi subséquente ne changeront rien. Pour les ados, la fumette restera interdite. Il en va de même, évidement, pour la production et la vente.
Où pourra-t-on acheter son cannabis ?
Les auteurs de l’initiative imaginent un réseau de points de vente spécialisés. Un commerce qui sera contrôlé. «Il faudra la mise en place, comme pour les alcools, d’une régie fédérale, chargée de surveiller et de gérer cette activité», suggère la conseillère nationale socialiste genevoise Maria Roth-Bernasconi, membre du comité d’initiative.
«Les autorités délivreront des concessions de vente à un certain nombre de commerçants répartis sur le territoire national». Selon l’Institut de recherche économique de l’Université de Neuchâtel (IRENE), les boutiques de chanvre actuelles, illégales mais encore tolérées dans certains cantons, pourraient être remplacées par un réseau de 400 «boutiques» officielles.
Pourra-t-on produire du cannabis sur son balcon ?
Oui. D’ailleurs cela se fait déjà. Depuis les rafles de la police chez les chanvriers suisses qui cultivaient en plein champs, au Tessin notamment, la majeure partie de la production indigène se développe indoor. Les amateurs commandent des graines qu’ils font ensuite germer chez eux, à l’aide d’un substrat synthétique, placé sous lampe.
Pourra-t-on fumer un joint n’importe où ?
Non. Les amateurs de cannabis devront respecter les interdictions de fumer en vigueur dans certains établissements publics. Ils seront donc logés à la même enseigne que les amateurs de cigarettes. Dans l’esprit des initiants, les communes pourraient en outre prononcer des interdictions supplémentaires dans certains locaux municipaux.
Est-ce qu’un particulier pourra vendre de l’herbe à un voisin ou à une connaissance ?
Théoriquement non. Toutefois, économistes et policiers sont d’accord pour dire qu’un marché gris du cannabis subsistera. Son ampleur dépendra du montant de la taxe étatique. Plus celle-ci sera élevée et plus «le business parallèle» sera florissant.
Comment empêcher les mineurs d’acheter du cannabis ?
Les initiants demandent aux commerçants de procéder à de «sévères» contrôles d’identité lors de la vente. Des sanctions sont prévues contre les vendeurs qui seraient trop laxistes.
Qui va contrôler le teneur en THC et la qualité des produits vendus ?
Les autorités fédérales seraient chargées d’édicter des normes qualitatives et de définir un taux de THC «acceptable». Les opposants n’y croient pas. «On va produire du biscuit militaire, sans saveur, et le gâteau appétissant, lui, sera vendu dans la rue», assure le conseiller national Claude Ruey (lib-rad, VD).
La vente de cannabis sera-t-elle taxée ?
C’est clairement la volonté des initiants. L’Institut neuchâtelois Irene, dans son étude fouillée sur la dépénalisation, a aussi abordé cette question. L’organisme estime qu’en Suisse la production de cannabis rapporte entre 530 et 810 millions de francs. De l’argent qui, aujourd’hui, profite exclusivement aux trafiquants et aux producteurs clandestins, et dont l’Etat ne voit pas la couleur. Professeur d’économie à IRENE, Claude Jeanrenaud suggère que le montant de la taxe soit fixé de manière à maintenir le prix actuel (entre 8 et 13 francs le gramme). Sinon? «Une diminution du prix entraînerait une augmentation de la consommation assez forte», assure Claude Jeanrenaud. Ce dernier a calculé qu’une taxe pourrait rapporter près de 220 millions de francs aux autorités suisses. Un montant auquel il faudrait soustraire les frais de gestion de la taxe, et ceux inhérents au contrôle du taux de THC (10 millions). Soit un gain net annuel de 210 millions. Au-delà du bénéfice financier, assez modeste, c’est surtout le principe même de la taxe qui divise. Les partisans de l’initiative y voient l’opportunité d’affaiblir des organisations criminelles qui «tiennent» le marché. Les opposants, eux, refusent que l’Etat devienne «un dealer».
La dépénalisation va-elle entraîner une augmentation de la consommation ?
La littérature sur le sujet est aujourd’hui assez importante. Comme le relève la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, une majorité d’études ont démontré qu’il n’y avait en réalité pas de lien systémique entre la légalité ou l’illégalité du cannabis et la consommation. En revanche, comme l’explique le professeur Jeanrenaud, et à l’instar de la plupart des biens, c’est le prix qui peut influencer la demande.
Faut-il s’attendre à un tourisme du joint ?
Comme aux Pays-Bas (lire notre édition de vendredi) , il est clair que les futurs points de vente vont attirer des étrangers. Cela est surtout vrai dans les régions frontalières. Pour contrer les effets de ce tourisme, les initiants veulent limiter la vente de cannabis à des personnes domiciliées en Suisse.
source :http://www.24heures.ch/actu/suisse/depenalisation-cannabis-douze-questions-2008-11-23