Page 1 sur 1

Le chantier antidrogue de Sarkozy

MessagePosté: 21 Jan 2013, 04:17
par jack1
Le chantier antidrogue de Sarkozy
Arnaud Folch, le 19-10-2007

Sanction contre les consommateurs de cannabis, suppression de subventions, ouverture de “centres thérapeutiques”… En ma­tière de drogue, aussi, le chef de l’État veut la rupture. Jusqu’où ?

Le “monsieur drogue” du président, c’est lui. Ancien substitut au tribunal de Paris, Étienne Apaire a été de 2002 à 2004 le conseiller judiciaire de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Il est aujourd’hui le président de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), chargée de coordonner l’action des… dix-neuf ministères concernés (Santé, Jeunesse et Sports, Justice, Éducation nationale, Intérieur…).


Sitôt connue, sa nomination a provoqué la colère des associations de gauche. « Réactionnaire », « partisan du tout répressif », a immédiatement réagi Act up. « Cela m’a étonné, car ils l’ont fait sans même demander à me rencontrer, répond Étienne Apaire (lire notre entretien page 32). À croire, sans doute, que d’avoir travaillé avec le président de la République est, par nature, inconvenant. »

L’élection de Sarkozy et la nomination de son ancien conseiller à la tête de la Mildt annoncent-elles un “durcissement” de la politique antidrogue ? Dans un courrier en date du 20 avril, adressé, durant la campagne présidentielle, à Serge Lebigot, président de l’association Parents contre la drogue, le futur chef de l’État – qui s’est peu exprimé sur ces questions – se posait, déjà, en adversaire résolu du laxisme. Sur les drogues dites “douces”, d’abord. « Il n’existe pas de distinction entre ­drogues douces et drogues dures, toutes les drogues sont néfastes », écrivait-il. Favorable au « délit d’usage » pour les « simples consommateurs » de haschich afin de « redonner une valeur à l’interdit », Sarkozy y prônait des « stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ». Mot pour mot ce que vient d’annoncer Étienne Apaire – précisant que ces « stages » seraient « obligatoires et payants ». Une décision en totale rupture avec les pratiques actuelles – selon une directive révélée par Paris Match, certains départements n’interpellent même plus les détenteurs de cannabis pour une quantité de moins de 10 grammes (trente joints !).

Même volonté de “rupture”, ou au moins d’inflexion, concernant un autre volet, plus méconnu, de l’action publique en matière de toxicomanie : la politique dite de “réduction des risques”. Lancée dans l’urgence en 1996 afin de faire face à l’augmentation considérable des cas de sida (en particulier chez les héroïnomanes), cette politique s’est fixé comme priorité, non la lutte contre les drogues elles-mêmes, mais la prévention des “risques” liés à leur consommation (maladies et overdoses, notamment). Cela par le biais de trois axes : la distribution gratuite de seringues ; la prescription et le rembour­sement par la Sécurité sociale de deux drogues de substitution (100 000 toxicomanes sous traitement méthadone ou Subutex) ; enfin, les subventions aux associations, y ­compris d’usagers, informant sur les “pratiques à risque”…

Là encore, même s’il reconnaît que la « réduction des risques » a été un « succès » en matière de santé publique (diminution par cinq des overdoses et par dix des nouveaux cas de sida chez les toxicomanes), Étienne Apaire ne s’en fixe pas moins un nouvel objectif : « Renforcer l’idée selon laquelle la substitution n’est pas une fin en soi et qu’il faut en sortir. »

Ce que Sarkozy écrivait, lui aussi, au président de Parents contre la drogue durant la campagne présidentielle : « Je trouve incohérent de vouloir réduire certains risques en en autorisant ­d’autres. […] La délivrance de drogue, même sous contrôle médical, me ­semble totalement contraire à cet objectif. » Plus question, donc, comme c’est aujourd’hui le cas, de prescrire ad vitam æternam méthadone et Subutex aux toxicomanes (certains sous traitement depuis plus de dix ans !). ­Quatre communautés thérapeutiques visant à l’abstinence (sans drogues de substitution) vont ainsi être ouvertes prochainement par Étienne Apaire.

De même, le “monsieur drogue” de Sarkozy vient-il, cette semaine, de discrètement retirer sa subvention (140 000 euros) à l’association Asud (Auto-support des usagers de ­drogues), laquelle ose revendiquer « l’usage des drogues comme droit légitime et imprescriptible protégé par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ».

En proposant de « changer de braquet », le chef de l’État prend le contre-pied des politiques menées jusqu’alors par ses prédécesseurs – Mitterrand et Chirac. Mais il prend aussi à rebrousse-poil certains de ses amis. Car si, tirant le signal ­d’alarme, 178 parlementaires, emmenés par le député UMP de la Gironde – et ancien magistrat – Jean-Paul Garraud, réclamaient, en juin 2006, la création d’une commission d’enquête sur « l’utilisation des fonds publics et sur la politique générale de l’État en matière de toxicomanie », d’autres, « par mé­connaissance ou conformisme », comme le dit Garraud, ont largement cédé au « laisser-aller » et « laisser-faire ». Ainsi, par exemple, de Bernard Kouchner, ex-signataire de “L’Appel du 18 joint”, expliquant en 2004 dans son livre Quand tu seras président (Robert Laffont) – coécrit avec Daniel Cohn-Bendit : « Je suis pour la réglementation de l’usage du cannabis, exactement comme nous avons réglementé l’usage de l’alcool ou du tabac. Le produit lui-même, contrôlé et taxé par l’État, n’est pas prohibé mais borné d’interdits : pas dans la rue, pas au volant, pas avant la majorité, etc. » Qu’en pense-t-il aujour­d’hui ?

Plus dangereux encore, peut-être, car touchant à l’héroïne, la proposition, remontant à 2006 et passée totalement inaperçue, du député UMP des ­Vosges Michel Henrich, lequel « préconise d’expérimenter la création de salles de consommation » pour les usagers de drogues injectables – les fameuses ­ “salles de shoot” éprouvées, avec des résultats dramatiques, en Australie et aux Pays-Bas !

Décidé à rompre avec ces dérives, le chef de l’État ira-t-il, pour autant, jusqu’au bout de sa rupture ? Serge Lebigot – dont Sarkozy vante « l’engagement remarquable » – réclame, en outre, « la classification comme stupéfiant du Subutex » prescrit aux héroïnomanes (aujourd’hui… dixième produit le plus remboursé par la Sécu, il fait l’objet d’un large trafic de rue, considéré comme un simple trafic de médicament). Il propose aussi, sur le modèle suédois – salué par l’Onu – des séances de “testing” dans les ­écoles – « une mesure préventive et anonyme destinée à informer les parents de ­l’éventuelle addiction de leurs enfants avant qu’il ne soit trop tard ». De même se dit-il favorable à ce que « tout élu qui fait la promotion des drogues soit déchu de son mandat ». On n’en est, certes, pas encore là. Il n’empêche : dans le courrier qu’il lui a adressé, Sarkozy l’affirme : « Je ne saurais tolérer l’attitude irresponsable d’un élu qui favoriserait ou susciterait un compor­tement illégal. » Même s’il ­s’agit d’un ministre ?



A lire lundi, l'interview d'Etienne Apaire, le "monsieur drogue" de Sarlozy


source : http://www.valeursactuelles.com/public/ ... cle_id=879