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Sciences
«Quand on voit ce qu’il y a dans une barrette...»
Témoignages de fumeurs qui répondent aux dangers du cannabis par l’autorégulation et la production maison.
Par Christophe Lehousse
QUOTIDIEN : mardi 7 août 2007
Néfaste, peut-être, mais pas plus que l’alcool ou le tabac. C’est un peu l’idée-force qui se dégage des récits des uns et des autres sur leur consommation de cannabis. On pourrait croire que c’est parce qu’ils ignorent les dernières études en date, établissant qu’un simple joint équivaut en toxicité à deux à cinq cigarettes ou qu’une consommation, même faible, accroît de 40 % les chances de développer des troubles psychiques comme la schizophrénie. On aurait tort.
La plupart font le choix de continuer de fumer en connaissance de cause, tout en «s’autorégulant». Victor (1), par exemple, dit «accorder du crédit à ce qu’on peut lire dans la presse ces derniers temps» , sans verser dans le catastrophisme. Avec un rythme de quatre à cinq joints par semaine, cet étudiant lyonnais de 25 ans veille juste à ne pas tomber dans l’excès. «Quand je monte à deux ou trois joints par jour, après, je m’oblige à ne pas en fumer dans les deux, trois jours qui suivent.» Ajoutez à cela quelques grands principes de base : jamais avant le boulot, éviter des mélanges incertains avec l’alcool et se trouver si possible en bonne compagnie. Encore que cette dernière précaution soit facultative d’après Pascal, 23 ans, habitué depuis l’âge de 19 ans à fumer au moins un joint par jour, qu’il soit seul ou non. «Et ça ne m’a jamais empêché de réussir mes études, de gérer ma vie et mes activités» , assure cet ingénieur dans le bâtiment. Certes, il y a le danger du cancer, «avec le goudron et le tabac» que contiennent les joints, mais c’est «à long terme» , estime Pascal. Victor, lui, se montre moins insouciant notamment face aux effets indésirables qui surviennent après certaines soirées. «Il y a des fois où je ressens une espèce de gêne, ça me provoque des glaires et aussi, quand je l’associe à l’alcool, des vomissements», reconnaît-il. D’où sa décision d’ajouter parfois des filtres aux cigarettes roulées qu’il se prépare.
«Du verre pilé». Face aux risques de toxicité et donc de cancer, chacun a d’ailleurs sa propre parade. Michaël, lui, fait partie des quelques 200 000 Français qui ont opté pour «l’autoculture», c’est-à-dire pour leur propre production. Après dix ans dans la fumette, ce journaliste parisien de 27 ans ne fait pas vraiment confiance au contenu de ce qui peut lui être vendu. «Quand on voit ce qu’on peut trouver dans une barrette de shit ou dans de l’herbe. ça va du plastique jusqu’au verre pilé. Non merci, je n’ai pas envie de me déchirer les alvéoles pulmonaires.» Des trois garçons, c’est d’ailleurs lui qui se montre le plus alarmiste quant aux possibles effets néfastes du cannabis. Car là où les deux autres relativisent les conséquences sur le psychisme, lui n’hésite pas à parler de véritable «dépendance psychologique».
Ainsi, il se souvient de ce soir où il avait tenu à retourner de nuit à la poubelle dans laquelle il avait jeté par mégarde ses feuilles. D’autres signes l’avaient inquiété : ces soirées de plus en plus fréquentes où il n’osait plus prendre la parole en groupe ou ces trajets où il rentrait chez lui «complètement parano» , en se croyant suivi. «C’est là que je me suis dit qu’il fallait quand même que je réduise ma consommation», raconte le jeune homme qui, d’un joint tous les soirs, est passé il y a six mois à deux par semaine. «Depuis, c’est quand même mieux. Je recommence à faire des rêves et je ne suis pas obligé de me fumer mon joint pour m’endormir.»
Fumeuse moyenne depuis six ans, Patricia est aussi de celles qui ont modifié leur consommation, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons. Enceinte de six mois, cette jeune assistante d’éducation en école maternelle a profité de sa grossesse pour mettre un terme à ses habitudes. «Je m’étais toujours dit que cette pratique ne durerait qu’un temps , explique-t-elle, parce que dans un coin de ma tête, il y a quand même cette peur du cancer.» Pour elle, aucun indice de dépendance : «Je me suis arrêtée quand je l’ai voulu, et je ne compte pas reprendre après ma grossesse.»
«Pas de prosélytisme». Sur le plan psychologique, ils ne semblent pas nombreux à redouter d’éventuelles incidences. L’avis de Pascal est largement partagé : «Je ne pense pas que ce soit le cannabis qui déclenche la schizophrénie. C’est plutôt celle-ci qui est latente chez certaines personnes et le cannabis ne fait que la révéler.» C’est peut-être un peu plus compliqué que cela, à écouter Pierre, 54 ans qui, à raison de dix joints par jour, dit avoir «vécu des crises de schizo assez galopantes». Aujourd’hui, cet animateur culturel serait «probablement» assez embêté s’il devait répondre à un jeune qui lui demanderait si cela vaut le coup de fumer . «Ni prosélytisme, ni diabolisation» , telle serait sans doute sa position. «Mais les réflexions sur la santé ne satisfont de toute façon jamais un individu, encore moins un jeune», conclut-il.
(1) Les prénoms ont été changés.
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