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Sciences
Les maux qui menacent les fumeurs de joints
Sans diaboliser le cannabis, les médecins s’interrogent sur trois risques.
Par E.F.
QUOTIDIEN : mardi 7 août 2007
Comme tout produit, - médicaments, drogues -, le cannabis peut entraîner des effets secondaires. Dans son rapport, publié ce mois-ci, le président de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) écrit : «Il est irrationnel de vouloir à tout prix diaboliser le cannabis, mais prétendre l’inverse sans arguments objectifs n’est pas non plus recevable.» Eléments de réponses, autour de trois questions.
La fumette rend-elle psychotique ?
Cela endort, détend souvent, fait rire parfois. De là à vous faire perdre la tête ! C’est The Lanc et, qui dans son édition du 26 juillet a tiré fortement la sonnette d’alarme, en publiant le résultat d’une méta-analyse sur une trentaine d’études déjà publiées sur «le cannabis et la maladie mentale». Avec cette conclusion : la consommation de cannabis augmenterait de plus de 40 % les risques de développer une maladie mentale. Un lien qui est extrêmement délicat à établir. Le cannabis en est-il la cause ou la conséquence ? En d’autres termes, la survenue d’éventuelles psychoses chez des fumeurs de joints s’explique-t-elle parce que le fumeur est plutôt prédisposé à cette pathologie, ou bien y a-t-il un lien de causalité direct ? Enfin, comme les troubles mentaux sont d’origines multifactorielles, mêlant des causes génétiques et comportementales, comment isoler un facteur ?
Dans leur analyse de 35 études réalisées ces dernières années, les chercheurs se sont intéressés au lien entre le cannabis et des troubles psychiatriques chroniques. Ils ont passé en revue les études à long terme sur la consommation du cannabis. «Nous avons trouvé une augmentation importante des cas de psychose chez les personnes ayant fait usage de cette substance.» Selon leur analyse, le risque augmenterait avec l’intensité de la consommation, les plus gros consommateurs ayant deux fois plus de risque de développer un trouble psychotique. Les auteurs de l’étude n’excluent pas la possibilité d’autres facteurs explicatifs. Ils relativisent leurs résultats en soulignant que le risque, pour un fumeur, de développer des troubles psychotiques chroniques tels que la schizophrénie, est faible. A la lecture de cette enquête, le professeur Roque se montre un brin sceptique : « On sait bien qu’il y a quelque chose. Mais quoi ? Ce qui est nouveau, c’est, semble-t-il, l’existence d’une relation directe entre intensité et durée de la consommation de cannabis et augmentation du risque. Cela étant, cela ne répond pas à des interrogations essentielles : ces épisodes psychotiques induits par le cannabis sont-ils spontanément réversibles ou non ? Sont-ils rapidement éliminés par des traitements aux neuroleptiques ?»
Une attitude prudente que partage également le professeur Philippe-Jean Parquet : «Dans le spectre des schizophrénies, il y a de multiples déterminants, dont des déterminants génétiques.» «C’est autre chose qui m’inquiète, conclut un psychiatre parisien. La consommation de cannabis peut aussi cacher des troubles mentaux. La personne, se sentant mal, s’automédique en fumant. Et elle ne viendra nous voir que très tard, à un moment où la maladie mentale est déjà bien installée.» Ensuite, il faut savoir que cannabis et neuroleptiques font très mauvais ménage.
Le cannabis abîme-t-il nos poumons et notre cœur ?
Cela fait tousser, d’accord. D’autant que le fumeur inhale «avec passion» son produit. Mais pour le reste. Et bien détrompez-vous, «f umer un seul joint de cannabis a les mêmes effets sur les poumons que fumer 2,5 à 5 cigarettes d’un coup», selon une étude publiée par la revue Thora
Les chercheurs ont comparé les effets du cannabis et ceux du tabac sur 339 adultes. L’échantillon a été divisé en quatre groupes: ceux fumant uniquement du cannabis, ceux fumant seulement du tabac, ceux fumant les deux et ceux ne fumant pas. Chaque participant a été soumis à des examens de tomodensitométrie des poumons (scanner à rayons X assisté par ordinateur) et à des tests respiratoires. «La principale découverte est qu’un joint est similaire à 2,5 à 5 cigarettes de tabac en terme d’obstruction respiratoire», indiquent catégoriquement les chercheurs.
«On a l’impression de découvrir la Lune», explique le professeur Parquet. «Quand on fume du tabac, il y a le problème de la nicotine qui est un addictif, puis celui du goudron. Avec le cannabis, les mécanismes sont différents ; il brûle moins bien que le tabac, et donc produit plus de gaz carbonique. De plus, le papier utilisé dans les joints est plus épais, augmentant ainsi la production d’oxyde de carbone. Tout cela aura, chez les consommateurs réguliers, des conséquences, en particulier sur le risque d’hypertension artérielle. Cela est clair, incontestable, mais aucune étude majeure n’a été faite. Cela étant, les cardiologues nous le signalent : ils voient de plus en plus chez des quadragénaires qui ont fumé pendant des années du cannabis, des problèmes cardio-vasculaires». D’autres notent que la consommation de cannabis est liée à celle de tabac, et de ce fait, les effets s’amplifient.
Mary-Jane peut-elle conduire ?
C’est le danger le plus clair : fumer du cannabis et conduire est particulièrement contre-indiqué. Depuis le 31 mars 2003, «conduire en ayant fait usage de cannabis (ou d’un autre stupéfiant) est un délit». Selon l’OFDT, dans son rapport de juin 2007, «l’ensemble des études expérimentales montre une nette détérioration de certaines facultés sous l’influence du cannabis : capacité de contrôle d’une trajectoire amoindrie, temps de décision allongé, mécanismes d’attention en déficit, réponses en situation d’urgence détériorées ou inappropriées». Toutefois, «les conducteurs conscients d’une diminution de leurs capacités modifieraient leur comportement en conséquence par une moindre prise de risque : ils allongeraient les interdistances sur autoroute, seraient moins enclins à dépasser et rouleraient à des vitesses moindres».
Reste quelques chiffres : selon une étude portant sur près de 11 000 conducteurs impliqués dans un accident mortel, on dénombre 7 % de cas positifs au cannabis, et parmi eux 2,8 % ont aussi consommé de l’alcool. Le risque de provoquer un accident mortel serait multiplié par deux. Le nombre annuel de victimes, directement imputables au surrisque du cannabis serait d’environ 170 tués sur une base de 6 000 accidents mortels. C’est beaucoup, mais on est loin des 2 270 morts, liées à l’alcool.
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