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Les vérités de madame « Ado »

MessagePosté: 21 Jan 2013, 04:12
par daniel
« Pourquoi la consommation du cannabis a-t-elle
ainsi triplé en dix ans chez les jeunes Français,
phénomène unique en Europe ? Parce qu'il y a un
flottement généralisé des adultes sur la
question. » Marie Choquet.



http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/paruti ... 3459-Les_vérités_de_madame_«_Ado_».html

Elle publie un essai avec Marcel Rufo *
Les vérités de madame « Ado »
Marie Choquet, chercheuse à l'Inserm, ausculte
les adolescents depuis trente-cinq ans. Son
diagnostic : aujourd'hui, les filles sont les
plus en souffrance. Entretien

Le Nouvel Observateur. -Comment vont les jeunes aujourd'hui ?

Marie Choquet. - Nos enquêtes disent que 80 % à
85 % vont bien et que 15 % vont mal. Ces derniers
cumulent trois ou quatre troubles parmi ceux que
leur génération emprunte pour exprimer son
mal-être. Ces troubles vont de l'usage répété du
cannabis à la consommation régulière d'alcool ou
de tabac, de l'anorexie à l'absentéisme scolaire
ou de la tentative de suicide à la fugue. C'est à
la fin du collège, à 15 ans, qu'ils surgissent le
plus. Garçons et filles sont diversement
concernés. Aux premiers, les actes transgressifs,
consommation régulière de substances dangereuses
d'abord. Aux secondes les manifestations
silencieuses, dépression, anorexie ou tentatives
de suicide.

N. O. - Le nombre des jeunes en difficulté a-t-il évolué ?

M. Choquet. - Ils étaient 10 % en 1993, et 15 %
dix ans plus tard. Cette augmentation, pourtant
accompagnée d'une amélioration globale des
relations familiales, cache un creusement des
écarts : ce sont, aux deux bouts, les mieux et
les moins bien portants qui se renforcent. Un peu
à l'image de la société à deux vitesses, dotée
d'une classe moyenne en crise, nous avons en
germe une jeunesse bifocale, avec ceux qui vont
très bien d'un côté et ceux qui vont très mal de
l'autre.

N. O. - Qu'est-ce qui vous inquiète le plus ?

M. Choquet. - Un climat dépressif diffus qui
augmente régulièrement. Contrairement au
leitmotiv ambiant, la mort par suicide est en
diminution, mais les tentatives de suicide
augmentent. Les moins de 20 ans sont nombreux à
exprimer un mal-vivre. Le regard braqué sur des
comportements visibles et transgressifs, violence
en tête, nous l'ignorons souvent. C'est pourtant
le phénomène le plus massif et inquiétant à mon
sens, dont la genèse est complexe et les
conséquences lourdes. On sait qu'un adolescent
qui fume du cannabis a beaucoup de chances de
rentrer assez vite dans le droit chemin. En
revanche, un dépressif non soigné devient souvent
un adulte dépressif. C'est plus souvent une
femme, qui devient mère à son tour, et dont
l'état de santé affecte souvent le développement
de son enfant.

N. O. - Les filles iraient-elles plus mal que les garçons ?

M. Choquet. - Les comparaisons internationales
l'attestent : plus souvent dépressive et victime
de violences, notre jeune Française va moins bien
que ses aînées d'hier et que les autres
Européennes. Entre 1993 et 2003, l'écart entre
garçons et filles s'est creusé en défaveur des
filles. A 17 ans, elles présentent aujourd'hui
plus de troubles que les garçons, alors qu'avant
c'étaient les garçons qui avaient plus de
troubles que les filles. Dans d'autres pays, les
scandinaves par exemple, la différence des sexes
a plutôt tendance à diminuer. A quoi attribuer ce
phénomène français ? Je penche pour une évolution
du climat familial : c'est lui qui pèse le plus
sur la survenue de la dépression. Or il s'est
amélioré pour les garçons et détérioré pour les
filles. Est-ce à mettre sur le compte d'une
mobilisation plus forte autour des garçons,
principal sujet d'inquiétude, au cours des
dernières années ? Possible. Les filles semblent
vivre un certain délaissement paternel. Leitmotiv
grandissant chez elles : « Il ne s'occupe pas de
moi. » Autre problème à leur sujet : les
violences sexuelles dont elles sont victimes peu
avant la majorité. Soit près d'une fille sur dix.

N. O. - Est-ce toujours la relation qu'ont les
jeunes avec leur famille qui explique le mieux
leur comportement ?

M. Choquet. - De très loin, c'est effectivement
le climat familial qui pèse le plus sur l'état
des jeunes. Ceux qui vont bien ont le plus
souvent bénéficié d'un style éducatif clair et
stable, qu'il soit démocratique ou autoritaire.
Contrairement à ce que l'on dit souvent, le
divorce n'a rien d'un facteur déterminant dans le
devenir des enfants, même s'il fragilise le jeune
à un moment donné. Les comportements des garçons
et filles de parents isolés ne se distinguent
quasiment pas de ceux des jeunes qui vivent avec
leurs deux géniteurs. En revanche, les milieux
recomposés prêtent à plus de mal-être, surtout
les familles à géométrie variable, dont le nombre
augmente. Les parents à éclipses, c'est le pire.

N. O. - Au total, doit-on en finir avec le
leitmotiv des parents démissionnaires ?

M. Choquet. - Ce sont les médias et les
professionnels qui véhiculent le plus cette
idée-là ! Leurs difficultés viennent des
stéréotypes qu'ils ont sur l'adolescence. Pour
eux, c'est une période de rupture, qui
indifférencie les jeunes, les plonge dans une
attirance pour la mort et les isole des adultes !
Tout cela est faux : on change bien plus entre 0
et 3 ans qu'entre 13 et 18 ans, et la dépression
n'a rien de romantique à l'âge où l'on veut vivre
intensément ! Ces idées fausses donnent aux
parents le sentiment qu'ils n'ont pas d'emprise
sur leurs enfants, alors que c'est tout le
contraire. Pourquoi la consommation du cannabis
a-t-elle ainsi triplé en dix ans chez les jeunes
Français, phénomène unique en Europe ? Parce
qu'il y a un flottement généralisé des adultes
sur la question.

N. O. - On croit souvent que les jeunes de milieu
favorisé [défavorisé ?? NdR] ont plus de chances
de souffrir ou d'être violents...

M. Choquet. - Le milieu social ne détermine pas
le bien-être ou le mal-être des adolescents. Il
n'y a pas de lien par exemple entre chômage et
troubles de comportement. Les bons milieux ne
sont pas la panacée. La consommation de
substances pyschoactives, a révélé l'Office
français des Drogues et des Toxicomanies, serait
désormais un peu plus le fait des adolescents des
quartiers favorisés que ceux des défavorisés. Des
études sur les troubles alimentaires, les
tentatives de suicide ou l'usage du cannabis
mettent parfois en évidence jusqu'à une moitié de
parents diplômés de l'enseignement supérieur.
Sous couvert d'autonomisation et de libéralisme,
c'est aussi dans les milieux privilégiés que l'on
constate parfois du délaissement et de l'abandon
éducatif. La rudesse des échanges des milieux
populaires n'est pas toujours néfaste aux jeunes.
Autre idée fausse : celle qui oppose agresseurs
et victimes. Ce sont souvent les mêmes. Subir des
violences rend violent. Les élèves victimes
deviennent entre cinq et dix-neuf fois plus
souvent des agresseurs que les autres. Ce n'est
pas pour rien que l'on parle de spirale de
violence.

N. O. - L'école française , critiquée pour sa
rigidité et son iniquité , pèse-t-elle lourd dans
le mal-être des adolescents ?

M. Choquet. - L'absentéisme régulier, qui
concerne 10 % des élèves, est sans doute le
révélateur le plus important du mal-être
adolescent. Est-il aussi la conséquence de la
pression scolaire ? Difficile de le savoir. Cette
pression existe, mais à des degrés moindres
qu'ailleurs. Le point noir réside une fois encore
dans la bipolarisation qui émerge : le nombre de
jeunes qui disent être « bien à l'école »
augmente autant que celui de ceux qui se disent
être « pas bien du tout » .

(*) « Regards croisés sur l'adolescence , son
évolution , sa diversité », par le professeur
Marcel Rufo et Marie Choquet, éditions Anne
Carrière , 514 p ., 20 euros.


Tendances

- Les comportements à risque ne sont pas de plus
en plus précoces : les 12-14 ans vont plutôt
mieux qu'il y a dix ans.
- Entre 1999 et 2003, les dégradations de biens
ont augmenté plus vite dans les écoles privées
que dans le public.
- Loin d'être une panacée, le sport, au-delà de
huit heures par semaine, favorise les
comportements violents.
- Le vol est devenu ordinaire : un tiers des
jeunes disent avoir volé durant l'année.

Anne Fohr
Le Nouvel Observateur