Comment promouvoir la paix et la démocratie dans un tel merdier ?
Une femme a osé c'est Ingrid
Elle mérite notre soutient
Date : 8/12/05
Source : Libération
Site :
http://www.liberation.fr/URL :
http://www.libe.fr/page.php?Article=343409Monde
Terreur paramilitaire en Colombie
Les milices, théoriquement désarmées, imposent leur loi dans un quartier
pauvre de Bogota.
Par Michel TAILLE
jeudi 08 décembre 2005
Bogotá de notre correspondant
Andrew et Camilo n'auront jamais pu présenter leur pièce de théâtre. Les
deux étudiants de Ciudad Bolívar, immense quartier pauvre de Bogotá, ont
été retrouvés découpés en morceaux, il y a quatre mois. «Il n'y a pas eu de
funérailles, raconte Lucy (1), une de leurs amies, à cause des menaces.»
Andrew et Camilo ont grossi la liste des plus de 150 habitants de moins de
25 ans abattus en silence depuis l'an dernier dans le secteur, au cours
d'une violente offensive des paramilitaires. «Ils ont appelé la famille en
lui "conseillant" de ne pas faire de bruit, continue Lucy. Elle a préféré
disparaître.»
Ces milices ultraconservatrices, nées dans les années 80 sous l'impulsion
de narcotrafiquants, de grands propriétaires et d'officiers pour s'attaquer
aux guérillas et à toute organisation de gauche, sont pourtant
officiellement en trêve depuis décembre 2002. Fédérées au sein des
Autodéfenses unies de Colombie (AUC), elles négocient leur démobilisation
avec le gouvernement du président Alvaro Uribe : la moitié de leurs 20 000
hommes auraient déjà rendu les armes. «Mais ici, c'est le contraire : elles
sont en train d'imposer leur loi», constate Isaías, élu local du quartier
de Jerusalén, perché sur les collines de Ciudad Bolívar.
Sans-terre. Au début de l'année, des rapports des services de
renseignements colombiens constataient déjà la progression : malgré la
trêve, avertissaient-ils, Carlos Mario Jiménez, alias «Macaco», chef de
l'aile la plus puissante des AUC, avait lancé ses hommes sur la périphérie
de Bogotá. Le but : expulser les réduits de la guérilla des Forces armées
révolutionnaires de Colombie (Farc) et contrôler ce secteur de 700 000
habitants, dont les hauteurs, peuplées depuis plus de vingt ans par les
sans-terre et les réfugiés venus de tout le pays, dominent le sud de la
capitale.
Les nouveaux venus se sont installés violemment, au nom de la lutte contre
la délinquance. Les rapines affectaient depuis longtemps ce secteur. «J'ai
beaucoup d'anciens compagnons d'école qui se sont mis à voler, à force de
voir leurs petits frères ou leur mère la faim au ventre», explique une
femme. Ces petites frappes, puis n'importe quel jeune traînant dans la rue,
voleur ou guérillero potentiel, ont fait les frais du nettoyage sanglant.
«Ils ont d'abord distribué des tracts, raconte Isaías : "Les bons garçons
se couchent à 21 heures, nous couchons les autres nous-mêmes".» Des motos
de grosses cylindrées et des tout-terrain aux vitres teintées, surréalistes
dans des quartiers où personne n'a de voiture, sont apparus sur les rues
boueuses, menant la chasse aux groupes de jeunes. «Ils abattent voleurs,
dealers, drogués... Qui ils veulent», raconte Manuela, dans le secteur de
Cedritos. Une mère adolescente raconte la mort de son frère : «Il a été tué
au coin de la rue par des hommes à moto, l'an dernier, sans que nous
sachions pourquoi», jure-t-elle. Les petits délinquants disparaissent : les
paramilitaires contrôleraient aujourd'hui eux-mêmes la vente de drogue,
selon les habitants.
Pour se financer, ils ont aussi recours au racket. «Certains commerçants
sont contents de payer, parce qu'ils disent qu'il y avait trop de vols»,
rapporte Isaías, désabusé. Lui a interdit à ses enfants de sortir après la
tombée de la nuit. Dans les zones les plus touchées, les adolescents se
sont organisés pour survivre : leurs petits frères guetteurs lancent
l'alerte à l'approche des mystérieux 4x4. Aucun ne cherche la protection
des autorités, accusées de complicité dans les meurtres.
Nouvel ordre. «Nous avons reconnu un policier, une nuit, en train de
canarder un coin où des amis s'étaient réunis, raconte un jeune père. Il
avait juste enfilé un pull sur son uniforme.» De son côté, Isaías a été
surpris par des rafales, au coin de sa maison, il y a quinze jours. «J'ai
entendu : "C'est bon, il est mort" ; aussitôt, le camion de la police est
arrivé pour faire disparaître le cadavre», raconte-t-il. Dans les ruelles
mal éclairées, le nouvel ordre s'impose en silence.
(1) Les prénoms sont modifiés.
© Libération