Mon enfant fume...

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Mon enfant fume...

Messagepar daniel » 21 Jan 2013, 04:08

Pubdate: 26/10/06
Source: Le Nouvel Observateur
Copyright: © Le Nouvel Observateur
Website: http://www.nouvelobs.com
URL:http://hebdo.nouvelobs.com/p2190/dossier/a321164.html

A 17 ans, près d'un jeune sur deux a déjà consommé du cannabis
Mon enfant fume...
L'angoisse du parent moderne ? Renifler l'odeur
suspecte dans la chambre de sa progéniture. Des
collèges de banlieue aux établissements huppés,
des fêtes du samedi soir aux fumettes solitaires,
la petite plante verte fait désormais partie de
l'univers adolescent. Le jour où elle touche son
enfant, les positions de principe ne suffisent
plus. L'enquête de Jacqueline de Linares,
Stéphane Arteta, Marie-France Etchegoin, Claire
Fleury et Jérôme Hourdeaux. Et les conseils du
professeur Daniel Marcelli

Il y a trente ans, il avait les cheveux longs, il
planait en tirant sur son joint tout en écoutant
les Who. Aujourd'hui il flippe en mâchant des
Nicorette. Et il vient de faire une « perquise ».
Dans la chambre de sa fille. Il a même fouillé
sous le matelas. Il n'a trouvé qu'un briquet au
fond d'un tiroir. Et une provision d'encens. Cet
horrible patchouli que son ado fait brûler en
permanence dans sa tanière. Gilles est toujours
aussi inquiet. Et il a l'impression d'être «un
vieux con». Brigitte, elle aussi, a eu sa
«période Bob Marley». Maintenant, elle est «
parent d'élèves ». Elle entend des histoires
terrifiantes, souvent invérifiables : des
«dealers qui rôdent devant le lycée», de
«l'ecstasy qui circule dès la 5e», des «pétards
fumés entre midi et deux»! A chaque rentrée
scolaire, Brigitte laisse négligemment traîner
sur la table du salon des articles sur les
dangers du cannabis. Ses enfants se marrent.
Alain et Catherine, quadragénaires dynamiques,
eux, n'ont jamais goûté à la fumette. Leurs deux
garçons sont sportifs, bons élèves, heureux de
vivre. La drogue, eux ? Jamais ! Jusqu'au jour où
le cadet a été embarqué au poste : il se roulait
un « oinj » avec ses potes, dans le square d'à
côté. Pauvres Alain et Catherine ! Qui se
croyaient à l'abri des volutes du shit. Ils ont
vérifié au sein de leur petite famille une
incontournable donnée statistique : aujourd'hui,
à 17 ans, près de un garçon sur deux a déjà fumé
un joint (et 41% des filles).

Depuis dix ans, la consommation de cannabis a
constamment augmenté (voir interview de Didier
Jayle). Selon diverses études, les deux tiers des
jeunes scolarisés de 14 à 19 ans savent où se
procurer du haschisch (80% auprès d'amis ou
d'amis d'amis, 20% chez des dealers «
professionnels »). Le shit est un produit de
proximité. Facile à se procurer, banal donc. Et
désormais omniprésent dans l'univers et la
culture des ados. A la sortie des établissements
les plus chics comme dans les collèges de
banlieue. Dans le texte des chansons qu'ils
écoutent et même dans le discours publicitaire.
«On vous propose, fait remarquer Daniel Marcelli,
psychiatre et spécialiste de l'adolescence, de
devenir «accro» aux petits-suisses ou de vous
offrir une belle «défonce» avec un jeu vidéo. Le
cinéma ou la télévision montrent le plus souvent
des fumeurs sympas : jeunes cadres dynamiques qui
se roulent un «pet» ou ados qui narguent
gentiment les autorités.» Le psychiatre hasarde
une explication : les «discours dominants» sont
élaborés par une génération de quadras-quinquas
qui ont gardé la nostalgie de leurs jeunes années
de fumette contestataire ! Ce sont les mêmes qui
se rongent les sangs aujourd'hui avec leurs
enfants. Réflexe de «vieux con», comme dirait
Gilles, le père fouineur ? Peut-être, sauf que -
à entendre les spécialistes du cannabis et à lire
toutes les études -, dans les années 1980, les
fumeurs goûtaient à leur premier pétard entre 18
et 20 ans. Désormais ils commencent de plus en
plus jeunes : l'âge moyen se situe autour de 15
ans ; parfois les premières expérimentations
débutent à 12-13 ans. Des années cruciales pour
la formation de la personnalité, la maturation
cérébrale, les études. En plus, l'herbe
d'aujourd'hui est souvent plus puissante que la
marie-jeanne d'antan (voir encadré p. 22).
«Attention, déclarait récemment un médecin invité
à une réunion de parents dans un lycée huppé
parisien, les mélanges qui circulent sont
beaucoup plus dangereux que ceux de votre
époque.» Frisson d'inquiétude dans l'assemblée
pourtant pleine d'ex-fumeurs de la période «
peace and love ». Plus que le tabac et l'alcool,
le haschisch affole l'imaginaire parental. Sans
doute parce qu'il n'a jamais fait l'objet de
grand débat, comme le déplorent Serge Hefez,
psychiatre, et Béatrice Bantman, médecin, dans un
très bon ouvrage sur « le Cannabis dans la
famille » (1).

Une autre donnée statistique rassurera peut-être
les plus angoissés : la majorité des jeunes
fumeurs décrochent, au bout de six mois, un an,
deux ans (seule une minorité appartiendra au
groupe des « consommateurs problématiques »).
Mais comment en être sûr le jour où, pour la
première fois, on sent une odeur suspecte dans la
chambre de son grand dadais ? D'autant que six
mois ou un an (avant le présupposé décrochage),
ce n'est pas rien dans la vie d'un ado. Et que le
cannabis semble avoir été inventé pour lui ! Son
effet euphorisant apaise les bouleversements de
la puberté et les pulsions sexuelles encore
inassouvies. «Certains médecins pensent même
qu'il agirait directement sur la biochimie du
cerveau troublé par les transformations
hormonales que subit l'organisme à l'adolescence,
explique Daniel Marcelli. Cela expliquerait
pourquoi le besoin de fumer du hasch s'atténue
nettement avec l'âge. Mais attention : ce constat
ne doit pas inciter au laisser-faire. Il faut
plutôt en conclure que la période de
vulnérabilité pubertaire ouvre une fenêtre sur la
dépendance et que la vigilance s'impose
particulièrement à cet âge.» 13-17 ans est un âge
charnière.

Les adultes déboussolés ont, le plus souvent, le
sentiment d'en faire trop ou pas assez. Une
ex-baba cool avoue avoir balancé une gifle à sa
fille fumeuse occasionnelle. Un père raconte
qu'il cherche à acheter des « tests » détecteurs
de cannabis via internet pour y soumettre son
fils. D'autres choisissent l'indulgence pour
«contrôler la situation», et la «qualité du
produit». Par exemple, cette mère qui tolère les
plantations de cannabis sur le balcon. Ou cette
autre qui roule le « chichon » avec son enfant,
comme on partage un bon verre de château-margaux.
Certains choisissent de ne rien voir. Pas envie
de se coltiner un conflit supplémentaire avec son
ado, quand la maison raisonne déjà de cris et de
portes qui claquent ou, au contraire, quand elle
est pleine du silence boudeur d'un gamin
boutonneux... Comment se situer face au cannabis
et à ses ambiguïtés ? Produit interdit mais
présent partout, substance illégale mais dont la
consommation est très inégalement réprimée,
drogue non sans effets sur la santé mais -
jusqu'ici en tout cas - bien plus stigmatisée que
le vin rouge. Autant de contradictions qui sont
pain bénit pour les ados, à l'âge où les
mensonges exaspèrent. Fumer revient à renvoyer à
leurs géniteurs, à la société tout entière, la
preuve de leur hypocrisie. Et ils visent en plein
dans le mille. Les parents s'angoissent et
pataugent. En appeler à la loi ? Elle date de
1970 et bien malin qui comprend quand elle
s'applique (voir encadré p. 18). Elle s'applique
pourtant plus souvent qu'on ne le croit. Tout
dépend des tribunaux : certains déclenchent des
poursuites à 50 grammes, d'autres à 10. La
répression touche rarement les simples
consommateurs. Mais le jeune qui alimente ses
copains devient un « dealer » : beaucoup se
lancent dans ce petit commerce pour financer leur
propre consommation (25 à 80 euros par mois).
Catherine, enseignante, a eu la désagréable
surprise d'assister, au petit matin, à
l'arrestation de son fils devenu le fournisseur
de ses potes. Deux jours de garde à vue, mise en
examen, procès, prison avec sursis mais après
avoir frôlé l'incarcération.

Malgré tout, et les parents le savent bien, la
menace judiciaire n'est pas un épouvantail
suffisant. Faut-il alors jouer la carte santé ?
Difficile quand on est bombardé d'informations
contradictoires, et parfois fausses. Par exemple,
l'idée traîne encore que «le haschisch va mener à
l'héroïne», ce qui est exceptionnel. Ou que la
dépendance physique s'installerait très vite. En
réalité, elle est nettement moindre que pour
l'alcool ou le tabac, mais elle peut devenir
psychologique. Il se dit aussi que le shit «rend
fou». Certes, il peut déclencher ou aggraver des
schizophrénies, mais il n'en est pas la cause
première. Inversement certains croient le shit
anodin, alors qu'à moyen terme les capacités de
mémoire ou de concentration sont sérieusement
altérées et qu'on connaît mal ses conséquences à
long terme (voir p. 20).

Alors que faire ? Que dire ? Aller à
l'affrontement ou dédramatiser ? «Les parents ne
doivent pas attendre d'être sûrs et certains du
problème pour intervenir », explique Daniel
Marcelli (voir aussi ses conseils p. 24). Entre
le premier épisode d'« ivresse cannabique » et
l'installation d'une consommation régulière
(quand elle se produit), il s'écoule en général
une période de un an à dix-huit mois. Mais parler
ne veut pas dire harceler. Le parent obsédé
incite souvent à transgresser un peu plus. Avec
les grands ados de 18 ans, qui ne présentent pas
de difficultés sociales et scolaires et qui «
gèrent » leur consommation, il faut même savoir
se taire.

Et pour les autres ? Ceux qui se mettent à fumer
seuls le matin, qui s'isolent, qui, comblés par
leur chichon, n'ont plus envie de rien ? Cela
fait huit ans qu'Isabelle voit son fils, Nicolas,
22 ans, se défoncer quotidiennement au shit. Ses
copains le surnomment «deux de tension». Inscrit
en fac d'anglais, il n'a même pas fait valider
ses notes de première année. Comme si son élan
vital s'était consumé dans les barrettes de shit.
Il est devenu psychologiquement dépendant. C'est
le fameux syndrome « a motivationnel », dont
parlent les psys. Et qui sème le désarroi dans
les familles. Mais souvent les parents se
trompent d'ennemi : ils pensent que le cannabis
est « le » problème. «Happés par la peur de la
drogue, beaucoup de parents ne se mobilisent pas
sur les vraies difficultés du jeune», explique
Jean-Pierre Couteron, président de l'Anit
(Association nationale des Intervenants en
Toxicomanie). «L'adolescent s'«autoprescrit» du
shit pour ne pas souffrir. Le shit, c'est en
quelque sorte le nouveau doudou», explique Gisèle
Bastrenta (2), psychologue dans une consultation
spécialisée de toxicomanie au CHU de Grenoble.
«Il permet de prolonger le temps des rêves
enfantins, quand tout semblait possible, dit
encore Marcelli. L'ado, qui n'est plus assez
enfant pour croire qu'il deviendra astronaute, et
pas encore assez adulte pour se trouver des
objectifs à la fois réalistes et séduisants, est
souvent englué dans des conflits intérieurs. La
fumette règle tout et lui évite de choisir.»

Médecins, thérapeutes, experts de terrain
insistent, unanimes : c'est en traitant la cause
du cannabis qu'on peut espérer s'en débarrasser,
ou de pas en devenir dépendant. Pas en
s'indignant « contre la drogue ».

(1) « Un écran de fumée. Le cannabis dans la
famille », Hachette Littératures, 2005.

(2) « Face au haschich en collège et lycée.
Comprendre, repérer, agir », CRDP, Académie de
Grenoble, 2005.
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