Pubdate: 29/8/06
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enquête
Une nuit à Strasbourg avec la BAC
POLICE . Reportage au sein d'une équipe de la brigade anticriminalité
chargée d'intervenir dans le quartier populaire du Neuhof, une cité située
au sud de Strasbourg.
« Nique la BAC. » Sur les murs du Neuhof, une cité du sud de Strasbourg,
les graffitis disent la haine de jeunes envers les policiers de la brigade
anticriminalité (BAC). Certains s'en prennent nommément à des agents. « On
les connaît et ils nous connaissent, soupire le capitaine Briclot. Un an
après les émeutes de l'automne 2005, nous sommes revenus à une forme de
normalité. Mais ça monte en puissance. Les jeunes s'opposent davantage aux
interpellations. »
En habituée des lieux, une équipe de la BAC maraude à la recherche du
flagrant délit : trafic de drogue, vols, etc. Soudain, vers 21 heures, la
radio reliée au centre de commandement s'anime : « Jet de cocktail Molotov
contre le collège Truffaut à Hautepierre ! » À cette nouvelle, le
conducteur démarre en trombe. Sirène hurlante, slalom dans la circulation :
la puissante voiture avale la dizaine de kilomètres qui la sépare du
collège. Arrivés sur place, les policiers constatent les dégâts. Jeté
contre une porte, le cocktail Molotov a été éteint par le concierge.
L'auteur du forfait s'est éclipsé. « La géographie du quartier facilite la
tâche des délinquants, explique Fabien. Comme les voitures ne peuvent
circuler entre les immeubles, l'espace entre les tours sert de refuge. En
deux minutes, l'auteur a le temps de commettre une agression, d'enjamber un
mur et de se cacher. »
PARKING SOUTERRAIN
Exemple quelques minutes plus tard. La BAC croise un jeune homme roulant en
scooter. Dès qu'il reconnaît les policiers, il s'enfonce entre les
immeubles et échappe aux agents. « Pourquoi a-t-il pris la fuite ? A-t-il
quelque chose à se reprocher ? Devons nous le poursuivre ? » se demande le
capitaine Briclot. Poursuivre ou non un fuyard est une décision difficile.
Le capitaine égrène : « Le fuyard se met en danger à cause de la vitesse,
il représente un danger pour les passants, et nous, nous courons des
risques à le poursuivre ; enfin, les risques d'accident du fuyard
augmentent si nous le poursuivons... » Ce genre de dilemme est fréquent :
« Les jeunes essayent de plus en plus souvent de s'enfuir. Même quand nous
ne nous intéressons pas à eux. »
Quelques heures plus tard, toutes les équipes de nuit de la BAC sont
mobilisées pour surprendre un groupe de jeunes. Ils se serviraient d'un
parking souterrain pour vendre de la drogue. Tandis que plusieurs équipes
font irruption en voiture dans le parking, une autre fait le guet à une
sortie. Soudain, un jeune homme grimpe l'escalier à toute allure et tombe
droit dans les bras de l'équipe de guet : « Pourquoi fuyez-vous ? » lui
demandent les policiers. Le jeune homme déclare qu'il venait de garer sa
voiture quand il a vu arriver les policiers. « Il vous suffit de voir les
policiers pour prendre la fuite ? » s'étonne un policier. « Il n'y a pas
longtemps, j'ai été contrôlé pour rien, se défend le jeune homme. Les
policiers pensaient que j'avais agressé quelqu'un. Je n'avais pas envie
d'être encore une fois soupçonné à tort. » Vérification faite, il est bien
locataire d'un box dans le parking, ses papiers sont en règle et il ne
porte pas sur lui de drogue.
MÉTHODES D'ENQUÊTE
Pendant ce temps, dans le parking, les autres agents fouillent et vérifient
les identités d'une dizaine de jeunes hommes. Ceux-ci prétendent qu'ils
sont réunis pour jouer aux cartes. Les policiers, eux, sont convaincus que
la partie de cartes masque un trafic de drogue. Mais celle-ci reste
introuvable. Un seul homme porte sur lui quelques barrettes de cannabis ;
les policiers l'emmènent au poste.
Le développement du trafic de drogue et du recel de vols forme
l'arrière-plan sur lequel évoluent les relations entre la BAC et les
jeunes. « C'est lié à la situation économique et sociale des quartiers, les
jeunes en échec scolaire et sans emploi se lancent en plus grand nombre
dans l'économie parallèle, constate le capitaine Briclot. Il y a quinze
ans, le trafic de drogue était organisé dans des bars et des discothèques
du centre-ville par des dealers qui vendaient seuls et en direct, précise
un spécialiste du trafic des stupéfiants. Aujourd'hui, le trafic s'organise
dans les quartiers périphériques et pauvres d'où sont issus les dealers.
Ceux-ci ne vendent plus directement au consommateur, mais passent par un
réseau de jeunes intermédiaires. »
La police a dû adapter ses méthodes d'enquête. À défaut de pouvoir observer
le cerveau du trafic, elle tente de comprendre son réseau. Un moyen
consiste à prendre des consommateurs en flagrant délit et à obtenir d'eux
des informations. Cette tactique oblige à multiplier les contrôles. Ce rôle
revient en priorité à la BAC et explique, pour une part, l'augmentation du
nombre des interpellations. Mais du coup, la BAC contrôle aussi plus
souvent des innocents et augmente la rancoeur des jeunes à son égard.
PLUS VIRULENTE
La BAC a aussi changé ses techniques d'intervention. Elle se montre plus
virulente. « Aujourd'hui, il faut tout de suite qu'on ait le dessus, sinon
on risque de se faire déborder, affirme Marc, membre d'un équipage de jour.
Quand il se fait attraper, le jeune essaye de discuter et de provoquer un
attroupement. Nous devons le monter rapidement dans la voiture et quitter
les lieux. » Pour assurer la sécurité de ses agents, la BAC, dorénavant,
engage plusieurs équipages si une opération a lieu dans un quartier
sensible, alors que par le passé un seul pouvait suffire.
Comme cet autre soir, dans une cité du nord de Strasbourg. Un promeneur a
été victime d'une agression au couteau par « un jeune de type
nord-africain, portant veste jaune ». Après avoir remis la victime aux
soins du SAMU, deux équipes de la BAC partent à la recherche de
l'agresseur. Dans le centre de la cité, elles repèrent un jeune, au sein
d'un groupe, qui correspond à la description. Du coup, la tension monte
d'un cran : « Vous le prenez rapidement et vous le présentez à la victime,
intime la radio. Ne restez pas à cet endroit et évitez une confrontation
avec les jeunes. » Quelques minutes plus tard, les policiers amènent le
suspect devant la victime. Celle-ci ne le reconnaît pas. Le jeune homme est
relâché. « C'est bon, tu peux y aller », lui lance un policier. Petite
bourrade dans le dos, pas d'excuses. L'humiliation et la rage se lisent
dans le regard du jeune homme. Pas de doute : la BAC s'est fait un nouvel
ami chez les jeunes.
Alain Peter
Article paru dans l'édition du 29 août 2006.