Maroc .Dossier. Et si on légalisait le cannabis ?

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Maroc .Dossier. Et si on légalisait le cannabis ?

Messagepar daniel » 21 Jan 2013, 04:06

Pubdate: 17/7/06
Source: TelQuel (Maroc) n°233
Cporyright: © TelQuel
Website: http://www.telquel-online.com/
URL:http://www.telquel-online.com/233/index_233.shtml
http://www.telquel-online.com/233/couve ... 33_1.shtml





Par Ahmed R. Benchemsi et Bart Schut

Dossier. Et si on légalisait le cannabis ?

Avant d'être adoptée par TelQuel, cette position sur la légalisation du
cannabis a été soumise au vote en conférence de rédaction, vendredi 16
juin. Nous étions 8. Résultat : 5 pour, 1 contre et 2 abstentions.



Ce n'est qu'une hypothèseS Mais si on l'examine sans a priori (c'est sans
doute le plus difficile, vu toutes les crispations idéologiques sur la
question), elle pourrait bouleverser de fond en comble le Maroc - qui est,
rappelons-le, le premier producteur mondial de haschich.


Les hurleurs vont hurler, les moralisateurs moraliser, les pleureuses
pousser des wili wili stridentsS Mais voilà, c'est fait : la question est
enfin posée frontalement, et mise en valeur comme elle le mérite. Il était
temps. Ce débat planétaire n'avait pas encore été ouvert chez nous, alors
que nous sommes, en tant que citoyens du premier pays producteur mondial de
haschichS les premiers concernés !

Des arguments pour légaliser, il y en a pléthore. Nous avons choisi - et
nous l'assumons - de mettre en avant ceux-là, à l'exclusion des autres. Il
y a sans doute des contre-arguments valables. Que ceux qui les défendent
les mettent en avant, ce sera assurément plus intelligent - et plus
instructif - que de récriminer aveuglément contre TelQuel. Ce pays manque
cruellement de débats de fond, espérons que celui-là prendra.

Mais allons, pour être cohérents, au bout de notre logique : la seule
personne qui détienne assez de pouvoir pour prendre cette décision, c'est
le roi Mohammed VI. La prendra-t-il ? Il est permis d'en douter.

C'est d'abord son statut d'Amir al Mouminine qui pourrait l'en empêcher. On
le dit haram, mais tout comme l'alcool, le cannabis n'est pas explicitement
interdit par l'islam. Il l'est de manière détournée - et contournable, pour
peu qu'on fasse l'effort d'Ijtihad nécessaire. Sauf que les Marocains n'y sont pas prêts. Ils sont
prêts à inonder le marché mondial de kif made in Morocco, prêts à fumer un
milliard de joints par an (authentique !), ouiS mais pas encore prêts à
admettre tout ça. Le second obstacle, c'est l'opinion internationale -
traumatisante, comme on le sait, pour nos officiels. Si nous légalisons, il
est à parier que l'Occident réagira en vierge effarouchée, oublieux des
politiques de légalisation et de dépénalisation du cannabis qui ont cours
sur son sol.

Pour toutes ces raisons, et connaissant le tempérament prudent et réservé
de notre roi, il est peu probable que le cannabis soit légalisé au Maroc -
production, commerce et consommation, comme nous le préconisons. Ce serait
pourtant une décision historique, une première à l'échelle mondiale, et qui
serait sous-tendue par un argument de souveraineté imparable : "le bien de
mon peuple d'abord"S Sur les 6 pages suivantes, nous expliquons pourquoi.

A.R.B



Soyons clairs. Ce que nous proposons de légaliser

Légalisation, tolérance, décriminalisation, dépénalisation : facile de se
perdre dans cet embrouillamini de termes juridiques. Juridiquement parlant,
voici ce que nous entendons exactement, dans ce dossier de TelQuel, par
"légalisation" : une acceptation légale entière de la consommation, la
production, le transport et la vente de tous les produits dérivés du
cannabis (et principalement la résine, dite haschich), à l'intérieur des
frontières du royaume.
Soyons honnêtes : aucun pays au monde, jusqu'à présent, n'est allé aussi
loin. Pas même les Pays-Bas, pays le plus tolérant au monde s'agissant du
cannabis. Là-bas, tout ce que nous avons cité plus haut est légal, sauf la
production et le transport. Pourquoi aller plus loin ? Tout simplement
parce que le Maroc est non seulement un pays producteur mais le premier
producteur au monde de résine de cannabis. Limiter le v¦u de légalisation à
la consommation aurait consisté à reconduire une hypocrisie qui a fait
suffisamment de ravages, au Maroc et dans le monde. Légaliser la production
de cannabis, la plus importante ressource naturelle que Dieu ait accordé à
ce pays, ne serait d'ailleurs qu'un pas "officiel" à franchir, puisque sur
le terrain, elle est très largement tolérée - et visible sans effort, et
sans quitter la route nationale, pour quiconque effectue le trajet
Fès-Ketama. Pourquoi limiter notre scénario à l'intérieur des frontières du
royaume ? Parce que nous sommes libres de promulguer nos propres lois, mais
pas de changer celles des autres. L'évidence même.

Six raisons pour le faire

Plus d'un milliard de joints sont roulés chaque année au Maroc. (AFP)


1. Les consommateurs ne seraient plus des criminels

Il y a peu de chances, cher lecteur, que vous soyez un producteur de
cannabis. Il y en a nettement plus, en revanche, que vous en soyez un
consommateur - ou, au moins, que vous ayez des amis qui le soient. De près
ou de loin, vous êtes de toute façon concerné par une hypothétique
légalisation du cannabis. L'effet le plus important que cela aurait, en
effet, serait la décriminalisation de centaines de milliers de personnes
dans notre pays. Pas seulement les fumeurs, mais aussi ceux qui les
connaissent et ne les dénoncent pas (et qui sont légalement considérés,
aujourd'hui, comme "complices").


Imaginez que vous puissiez allumer un joint dans votre salle de séjour,
sans que vos amis non-fumeurs commencent à gigoter sur leurs sièges, en
baissant la voix et en regardant autour d'eux pour s'assurer que toutes les
personnes présentes sont fréquentablesS Imaginez que vous puissiez entrer
dans un magasin (comme à Amsterdam) et dire : "10 grammes s'il vous plaît
!" Finis, les rendez-vous louches dans les voitures des dealers. Finis, les
coups de fil tardifs à vos amis quand vous êtes à court de "matière
première". Plus besoin de tout cela ! Vous pourriez garder votre réserve
personnelle au placard (ou sur votre table de cuisine) et si vous êtes à
court de marchandise, il vous suffira d'aller au magasin du coin, ou de
rencontrer votre dealer, en plein jour et en tout bien tout honneur, pour
vous approvisionner. La vie ne serait-elle pas beaucoup plus simple ainsi ?

Le fait est qu'aujourd'hui, des centaines de milliers de nos compatriotes
sont condamnés par une loi que tout le monde transgresse d'une façon ou
d'une autre. Les chiffres fournis par Altadis (ex Régie des tabacs)
concernant la vente du papier et du tabac à rouler au Maroc, nous mènent à
cette ahurissante conclusion : plus d'un milliard de joints sont fumés
(donc plus d'un milliard d'infractions sont commises) chaque année au Maroc
! Des centaines de milliers de citoyens, honnêtes comme vous et moi,
commettent ainsi, chaque jour, un "crime" qui ne consiste, en fin de
compte, qu'à satisfaire une envie personnelle - comme d'autres le font en
allumant une cigarette ou en ouvrant une bouteille de Cabernet, sans
déranger personne.

Ce n'est pas seulement le consommateur qui y gagnerait à ne plus être
considéré, ni traité comme criminel. Les non-fumeurs se sentent en effet
mal à l'aise quand du haschisch circule dans une réception, surtout quand
ce sont eux qui reçoivent. Si la police fait une descente à votre domicile
et qu'elle y trouve des stupéfiants (qu'ils soient à vous ou pas), c'est
vous qui devrez vous en expliquer devant un juge !

C'est évident : c'est une question morale qui se pose. Si l'Etat considère
ses citoyens (qui peuvent être des consommateurs de cannabis) comme des
individus sérieux et mûrs qui ont le droit de voter, défendent leurs pays
en temps de guerre, contribuent à sa richesse en payant leurs impôtsS
pourquoi ne leur donnerait-il pas le droit de gérer leur vie privée (et les
éventuels risques pour leur santé - lire encadré ci-contre) comme ils
l'entendent ? Toute liberté supplémentaire octroyée au peuple est un signe
de maturité et d'émancipation, non seulement pour le consommateur-citoyen
mais pour l'Etat lui-même. Par ailleurs, la légalisation aurait pour effet
de diminuer le prix de la marchandise (lire plus loin). Encore une raison,
pour les fumeurs, de continuer à faire ce qu'ils ont toujours fait, mais
cette fois avec un (plus) grand sourireS

2. Les producteurs deviendraient honorables

On a vu à quel point la décriminalisation changerait la vie du
consommateur. Imaginez, maintenant, la vie du producteurS Elle changerait
de fond en comble, et pour toujours ! Selon les estimations conjointes de
l'Agence pour le développement du Nord et des Nations Unies, quelque 100
000 familles rifaines, soit 800 000 personnes, dépendent directement de la
culture du cannabis. Tous ces gens sont donc, à aujourd'hui, des
hors-la-loi.

Une fois légalisé, le cannabis deviendrait un produit agricole comme un
autre. Oubliée, l'épée de Damoclès planant en permanence sur des centaines
de milliers de têtes ! Oubliées, les poursuites arbitraires contre quelques
cultivateurs (forcément des boucs émissaires, vu l'ampleur des cultures).
Oubliées, les destructions intempestives des récoltes et les
appauvrissements collectifs dramatiques et sans issue qui en résultent !
Imaginez l'effet d'un tel changement sur la psychologie de ces populations
qui se sentent exclues de notre société depuis plusieurs décennies.
Imaginez les Rifains se sentant enfin des citoyens actifs, productifs, et
respectésS

Mais l'effet serait loin d'être uniquement psychologique. Une fois le
cannabis légalisé, plus aucun obstacle n'empêcherait les cultivateurs
d'étendre leur production. L'augmentation prévue du flux touristique dans
le nord du pays entraînerait l'augmentation de la demande et, par ricochet,
celles de la production et des revenus des cultivateurs et de leurs
familles. Mieux, les cultivateurs pourraient s'impliquer dans la
transformation de leur production brute (bottes de kif) en résine de
cannabis consommable ; ils pourraient même en assurer le transport, voire
la distribution - trois processus actuellement contrôlés par les mafias.
Après la légalisation, les chefs mafieux n'auraient alors plus que les
choix suivants : se convertir au commerce légal (ce qu'ils hésiteraient à
faire, vu que leur marge bénéficiaire s'en trouverait fortement réduite) ;
abandonner le commerce du cannabis (à cause, là encore, des marges
désormais faibles) ; ou axer leurs activités sur l'exportation vers
l'Europe (un créneau juteux mais qui resterait dangereux, car toujours
illégal - sauf dans le cas improbable d'une révolution culturelle
européenne). Dans les deux premiers cas, les effets de la légalisation
seraient spectaculaires : des centaines de criminels mafieux n'auraient
plus, du jour au lendemainS aucune raison de le rester !

S'il n'est plus besoin de graisser la patte aux policiers ou aux gendarmes,
si le producteur comme le transporteur de haschisch ne courent plus aucun
risque, le cultivateur pourra enfin commencer à gagner sa vie décemment, en
récupérant les marges de ses anciens "maîtres" mafieux. Ceux qui ont étudié
la question ou ceux qui ont été faire un tour dans les montagnes rifaines
le savent : actuellement, ce ne sont pas les petits cultivateurs qui
roulent dans de grosses 4x4, mais bel et bien les gros barons.

Les cultures alternatives ? On en parle depuis 50 ans mais toutes les
études le démontrent : vu la nature ingrate du sol montagneux rifain, la
plus lucrative des cultures alternatives est cinq fois moins rentable que
celle du kif. Et cette dernière, vu ses conditions actuelles, permet à
peine la survie des cultivateurs, coincés entre la double pression de la
mafia de la drogue et des autorités. Tout cela ne peut plus durerS N'ayons
pas peur de ce constat : à moins d'envisager un exode massif des paysans
rifains, la seule manière de leur garantir des conditions de vie un minimum
décentes est d'envisager la légalisation du cannabis.

3. Une source majeure de corruption disparaîtrait

Là où il y a délit, il y a corruption. La production, le trafic et la
consommation sont des délits, et la corruption est une incontournable
réalité dans le Rif - même s'il est, évidemment, impossible de la chiffrer.
La grande question est donc : si on légalise le cannabis, le volume de la
corruption dans le Rif baissera-t-il significativement ?

À en croire l'ONG Transparency Maroc, chaque transaction économique légale
dans notre pays engendre, en moyenne, un surcoût de 10 à 15% généré par la
corruption. Même légalisé, le commerce du cannabis pourrait donc rester (au
moins en partie) une activité "au noir" - tout comme le bâtiment ou le
transport le sont aujourd'hui, dans l'unique souci d'augmenter les marges
bénéficiaires des acteurs de ce commerce. Mais il y a tout de même une
différence majeure : aujourd'hui, les intervenants dans le marché du
cannabis sont obligés de corrompre, ils n'ont pas le choix. Demain, si le
cannabis est légalisé, ils auront le choix. Fatalement, ils seront moins
nombreux à faire ce choix. Et ceux qui le feront paieront de toute façon
moins qu'avant, puisque "couvrir" du commerce au noir "coûtera" forcément
moins cher que "couvrir" le trafic d'un produit illégal. L'un dans l'autre,
la légalisation induira donc une baisse conséquente de la corruption.

Mais ne rêvons pas tropS L'export restera le débouché le plus lucratif pour
le haschich marocain et il restera illégal. Le chemin vers Algésiras
restera donc truffé d'officiels qui prélèveront leur part sur le trafic.
Mais au moins, les agents d'autorité (policiers et gendarmes) chargés
aujourd'hui de réprimer le trafic intérieur, devront réfléchir à un autre
moyen d'arrondir leurs fins de mois. Sans oublier leur hiérarchie, qui
pourra les réaffecter tous (et ils sont nombreux) à d'autres tâches. Comme,
par exemple, renforcer le contrôle aux frontières, pour rendre celles-ci
plus étanches aux trafiquants internationaux, qui seront restés des
hors-la-loi. Un bon argument pour mieux "vendre" notre processus de
légalisation à des Etats européens qu'on imagine déjà sceptiquesS

4. Les recettes fiscales exploseraient

Les effets macro-économiques de la légalisation du cannabis sont bien sûr
difficiles à prévoir. Un expert en économie agricole prévoit néanmoins, en
cas de légalisation, "un enrichissement des populations du Rif qui
gonflerait notre PIB, car actuellement les énormes revenus du cannabis ne
sont pas comptabilisés dans les statistiques nationales". Du PIB, sans
doute. Mais quid des recettes fiscales ? Depuis 1984, l'activité agricole
au Maroc est exonérée d'impôts. Or, le cannabis est clairement un produit
agricole. Sera-t-il exonéré aussi ? Rien n'y oblige l'Etat. La légalisation
serait déjà une mesure juridique exceptionnelle, alors pourquoi pas, en
prime, une petite exception fiscale ? Les cultivateurs, à n'en pas douter,
préféreraient de loin payer des impôts pour avoir le droit d'exercer
légalement, plutôt que continuer à vivre sans impôts, mais dans le mensonge
et la peurS Et de toute façon, l'exonération fiscale de l'agriculture doit
normalement s'achever dans moins de quatre ans, en 2010. L'ONU estime le
revenu global des cultivateurs marocains de cannabis (sans compter celui
des trafiquants) à 3,5 milliards de dirhams par an. Même en imaginant que
ce chiffre ne bouge pas en cas de légalisation (alors qu'il y a de très
fortes chances qu'il fasse plutôt un bond en avant), les recettes fiscales
sur un tel chiffre d'affaires rendraient indiscutablement le sourire à M.
Oualalou, notre bon ministre des Finances. Le gouvernement pourrait décider
d'affecter cette manne supplémentaire à l'amélioration de l'infrastructure
des provinces du nord et par conséquent, à renforcer les liens avec les
Rifains et dissiper leur suspicion envers RabatS

5. Les touristes viendraient par millions

Oui, il y aura foule ! Pas besoin d'être visionnaire pour prévoir, en cas
de légalisation du cannabis, un raz-de-marée touristique sur le Maroc. Il
ne sera plus question de 10 millions de touristes, mais (au moins) du
double ! Sans compter ceux qui préfèrent les plages de la Costa Del Sol,
mais qui ne pourront s'empêcher (s'ils sont fumeurs) de faire - au minimum
- un petit saut de 24 heures à Tanger ou Tétouan.
"Le Rif : mer, montagne et cannabis", voilà un slogan qui ferait rêver des
millions de touristes européens et américains. Chaouen deviendrait le
centre d'une économie touristique prospère, au même titre que Nador, Al
Hoceïma - bref, toutes les villes desservies par ferry depuis la péninsule
ibérique. En attendant les aéroports internationauxS Pour répondre à
l'afflux de touristes, les investissements hôteliers et de loisirs
(nationaux ou étrangers) se multiplieraient. Et qui sait, les MRE
originaires de la région (la grande majorité de ceux qui résident en
Belgique et aux Pays-Bas) pourraient voir un nouvel Eldorado là même où ils
ont leurs racines et leurs famillesS

Mieux encore : pensez à ce qui pourrait arriver à Casablanca ! Aujourd'hui
ville d'affaires qui n'offre que peu d'attraits touristiques, la Ville
Blanche - ou plutôt la Ville Verte - deviendrait la nouvelle Amsterdam de
l'Afrique. Pensez à tous les touristes que les "hanout-qahoua" (ce serait
rigolo, d'appeler nos coffee-shops comme ça) pourraient attirerS Casablanca
ne sera plus cette ville où les touristes en route vers Marrakech passent
le moins de temps possible. Elle deviendrait enfin la ville mythique et
pleine d'aventures d'Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, celle-là même qui
fait fantasmer les Occidentaux depuis la sortie du fameux film éponyme,
dans les années 40. Casablanca pourrait exploiter sa situation stratégique
et son aéroport international pour changer de statut : elle cesserait
d'être un centre de transit peu attractif, et deviendrait une destination
conviviale, qui ouvrirait les portes d'un royaume encore plus séduisant.
Amsterdam l'a fait, et a fait fortune. Pourquoi pas Casa ?

6. Le monde ne nous en voudrait pas (trop)

Ne nous y trompons pas : si nous décidons de légaliser le cannabis, les
consommateurs de toute la planète applaudiront mais certainement pas leurs
gouvernements. L'Espagne appelle le Maroc, depuis longtemps, à lutter plus
sérieusement contre le trafic de hasch. Nos deux alliés les plus
importants, la France de Chirac et les Etats-Unis de Bush, ont toujours
milité en faveur d'une politique anti-drogue fortement répressive. Si nous
légalisons le cannabis, le Maroc ne risque-t-il pas d'être perçu comme un
narco-Etat, une nation paria au ban de la communauté internationale ? Pas
nécessairementS

Si nous avons le droit souverain d'agir sur notre législation, nous devrons
continuer à tenir compte de celle des autres. L'Occident continuera à
interdire l'importation de cannabis sur son sol ? Soit. Dans ce cas nous
combattrons son exportation. Sérieusement, cette fois, et dans une logique
économique inédite : celle d'empêcher la fuite des capitaux. Raisonnement :
pourquoi réaliser un chiffre d'affaires colossal en Europe (avec le risque
que l'argent y reste), alors que nous pouvons réaliser le même chiffre
d'affaires chez nous (et grossir d'autant notre épargne nationale) ? Slogan
: "Nous ne pouvons pas vous envoyer notre haschich, venez le fumer ici !"

Dans un sens, le système des coffee-shops néerlandais a toujours fonctionné
ainsi. Même si la légalisation du cannabis a suscité en son temps des
torrents de critiques (notamment de la part de la France et de la Suède)
elle n'a jamais porté préjudice aux Pays-Bas sur un plan diplomatique, ni
menacé le prestige de ce pays au sein de la communauté internationale. Les
plus conservateurs parmi les Etats européens ont fini par s'y habituer,
après un (léger) froncement de sourcils qui n'a guère duré plus que
quelques années.

Et les Etats-Unis ? Le cannabis marocain, pour faire simple, est le dernier
de leurs soucis. Leur guerre contre la drogue est quasi exclusivement axée
sur la cocaïne et vise notamment le Mexique (pour le trafic) et la Colombie
(pour la production). Le Maroc n'a pas à s'inquiéter de ce côté-là, quand
on sait que Washington, Paris ou Madrid nous considèrent comme un allié
incontournable dans une guerre autrement plus importante que celle contre
la drogue : celle contre le terrorisme.


La question préalable. Est-ce dangeureux, oui ou non ?

Dans quelle mesure la consommation de haschich est-elle réellement nuisible
à la santé ? Le débat est souvent très politisé, voire outrageusement
passionné. Quand les opposants à la légalisation dénoncent (et exagèrent
souvent) les effets nuisibles du cannabis sur la santé, ses avocats
réfutent l'argument médical et vont jusqu'à faire l'éloge de ses vertus
médicinales. C'est sans doute excessif, dans les deux sens.
Les effets physiques de la consommation de cannabis sont très limités. Il a
un effet calmant et relaxant qui procure un sentiment de bien-être mais pas
d'euphorie. Les effets diminuent à mesure que l'organisme s'y habitue mais
sans créer pour autant de dépendance. Fumé en grande quantité, le haschich
devient non pas une addiction mais une habitude. Une habitude tenace, sans
doute, mais une habitude quand même. Dire que la consommation de cannabis
conduit inévitablement à la consommation de drogues dures est
scientifiquement infondé.
Comme pour les autres "drogues", le phénomène de l'addiction dépend moins
de la substance consommée que de la psychologie du consommateurS ou de
facteurs héréditaires. En tout cas, comparer les effets du haschich à ceux
de la cocaïne ou de l'héroïne est aberrant. On ne peut même pas comparer la
dépendance au cannabis à celle à l'alcool ou à la nicotine. La dépendance
au cannabis est plutôt comparable à celle à la caféine. Quand on y est
habitué, on a du mal à s'en passer, mais si on s'en passe quand même, aucun
symptôme physique n'apparaît. Etrange, pourtant : jamais personne n'a
appelé à l'interdiction de NescaféS
Par ailleurs, il n'est pas facile d'évaluer correctement les effets du
haschich sur la santé, pour la simple raison que ça ne se fume jamais seul,
mais toujours avec du tabac - produit qui a déjà, tout seul, des effets
négatifs sur la santé, et qui engendre une addiction. L'effet conjugué du
cannabis et du tabac est indubitablement nuisible à la santé du fumeur,
mais de nombreux médecins affirment que "le goudron et la nicotine sont les
pires substances qu'un consommateur puisse trouver dans son joint".
Les études qui ont démontré que la consommation du cannabis diminue les
capacités de concentration ou provoque des pertes de mémoire, voire de la
schizophrénie, sont discutables - et largement discutées. Il n'est
d'ailleurs pas inintéressant de noter que ces études proviennent
généralement des pays les plus farouchement anti-cannabis (Etats-Unis,
France, SuèdeS). Or, ce sont les gouvernements de ces pays qui financent
ces mêmes études. En revanche, des recherches récentes menées au
Royaume-Uni ont démontré que le cannabis a un effet positif sur les
cancéreux en traitement (ça diminue les douleurs liées à la
chimiothérapie), et aussi sur les personnes atteintes de sclérose en
plaques, de douleurs menstruelles, d'asthme, du sida, de la maladie de
Parkinson, d'Alzheimer etS d'alcoolisme.


Alcool et tabac. La grande hypocrisie

Difficile d'expliquer valablement pourquoi le cannabis est interdit, alors
qu'on peut acheter librement tabac et alcool à tous les coins de rue. De
fait, les dommages causés, aux personnes comme à la société, par ces deux
drogues légalisées, sont infiniment plus importants que ceux causés par le
haschisch. Le tabac entraîne une dépendance forte (et prouvée), et est de
surcroît très coûteux pour la société. Pensez au nombre de personnes qui
souffrent de maladies liées au tabac, comme le cancer des poumons et les
maladies cardio-vasculaires, et à ce que coûte leur traitementS
L'alcool est pire, encore. Non seulement il provoque une grande dépendance,
mais il provoque un énorme changement sur le comportement de celui qui le
consomme. Pensez à ce clochard au pantalon sale qui va nu-pieds dans les
rues, qui parle tout seul, qui invective "el houkouma" à tout bout de
champ, et que vous faites semblant d'ignorer à chaque foisS Ce n'est pas le
cannabis qui lui fait ça, mais, à tous les coups, l'alcool. Posez-vous la
question : pourquoi les bagarres ont-elles toujours lieu devant (ou dans)
des bars ? Justifier l'interdiction de l'alcool (les Américains l'ont fait
dans les années 1920, mais ça n'a rien donné) serait beaucoup plus simple
que justifier celle du cannabis. Et pourtant...


D'autres l'ont fait. Des exemples pour le Maroc ?

Les Pays-Bas ont sans doute la politique la plus tolérante dans le monde en
matière de cannabis. Ce pays est souvent considéré comme l'exemple d'une
légalisation réussie. Sa dépénalisation de la possession de haschisch (à
condition de ne pas en détenir plus de 30 grammes) n'est pas unique en
Europe. La plupart des pays de l'Union européenne tolèrent, en effet, la
consommation de cannabis. Mais les Pays-Bas sont allés plus loin.
Qui n'a pas entendu parler de ces fameux "coffee-shops" d'Amsterdam où l'on
peut commander en toute liberté une grande variété de haschich ou de
marijuana, comme on commanderait un Coca light ou un jus de pomme ? Pour
avoir l'autorisation d'exploiter un coffee-shop, le propriétaire doit se
conformer à des règlements très stricts imposés par le gouvernement
concernant l'hygiène, les taxes (!), l'interdiction de vendre des drogues
dures (cocaïne, héroïne) et l'interdiction de vendre aux mineurs. Les
propriétaires respectent religieusement ces règlements. Pas fous ! Ils
savent qu'ils sont assis sur une mine d'or et pour rien au monde, ils ne
courraient le risque de perdre leur licence.
Autre exemple intéressant : la légalisation de facto en Bolivie. À l'instar
du Rif, une grande partie de la population de ce pays d'Amérique du Sud
dépend économiquement de la production de drogues illicites. Seulement, en
Bolivie, ce n'est pas le cannabis mais la plante de coca qui nourrit les
familles de fermiers - qu'on appelle d'ailleurs les cocaleros. Bien sûr, la
production, la vente et la consommation de cocaïne - le produit dérivé le
plus connu de la plante de coca - est interdite en Bolivie. Cela dit, la
culture de coca ne gêne en rien la plupart des Boliviens (idem pour les
Péruviens, les Colombiens, les Equatoriens, etc.). Pour eux, la dépendance
à la cocaïne est d'abord le problème des riches gringos (les Américains) et
ils ne comprennent pas pourquoi leurs pays doivent subir les affres d'une
guerre contre la drogue orchestrée par les Etats-Unis.
Ils disent aussi que la culture et la consommation de la feuille de coca -
qui a un effet relaxant reconnu - est chez eux une tradition millénaire.
Les feuilles de coca se vendent librement à travers toute l'Amérique du
Sud, et les T-shirts arborant l'inscription "la hoja de coca no es droga"
(La feuille de coca n'est pas une drogue) sont très prisés par les
touristes. La guerre américaine contre la drogue (incinération de milliers
de kilomètres carrés de champs de coca, privant des dizaines de milliers de
familles de leur gagne-pain) est si répressive et si vigoureuse que les
cultivateurs de coca ont contribué à la destitution du président bolivien
et ont élu à sa place Evo MoralesS un ancien cocalero ! l


Dernier mot.
Imagine all the Moroccans...

Né et ayant grandi au Pays-Bas, je ne me suis jamais posé de questions sur
le haschich et la marijuana. Pour les adultes, acheter ou fumer de l'herbe
est considéré comme un acte normal, parfaitement accepté par la société.
Aucun parti politique (hormis quelques extrémistes religieux
ultra-minoritaires) ne fait campagne sur l'interdiction du cannabis. Cela
étant, parmi mes amis néerlandais, rares sont ceux qui fument.
Personnellement, le cannabis, ce n'est pas mon "kif". Cela n'empêche pas
les étrangers de penser que toute notre culture est définie par notre
rapport à "la drogue". Jacques Chirac lui-même nous a un jour taxés de
"narco-Etat" !
Quand je suis arrivé au Maroc, j'ai été étonné de voir qu'à la différence
de mes copains néerlandais, tout le monde ici fume ! Je dis bien tout le
monde. Et notamment des Alaoui, des Berrada, des Alami, etc. Si la fine
fleur de la jeunesse marocaine fume, si vos futurs (ou actuels) dirigeants
roulent des joints avec autant de facilité, alors ça ne devrait pas être si
difficile pour eux de défendre la légalisationS Non ?
Peut-on imaginer qu'un jour, ce rêve devienne réalité ? Le Maroc
deviendrait le pays le plus progressiste au monde - au moins sur çaS La
première fois que j'ai pris la route Kétama-Fès, j'ai eu le sentiment que
ce rêve devenait réalité. Je suis sorti de ma voiture pour marcher à
travers ces superbes étendues vertes qui dégageaient un charme ensorcelant
- sans doute la fascination de l'interdit. Par endroits, les plants de
cannabis étaient plus grands que moi (je mesure 1m 95). Enfin, j'avais
trouvé un pays plus tolérant que le mien en matière de cannabis (même si au
Maroc, cela relève de l'usage plutôt que de la loi). C'était la première
fois que j'étais vraiment fier de "mon" Maroc. Et je ne fume même pas. Même
si personne ne me croit quand je dis ça...

Bart Schut




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