La police contre la plume du rappeur
Hamé, du groupe la Rumeur, comparaissait pour diffamation à l'égard des forces de l'ordre.
Par Stéphanie BINET
samedi 13 novembre 2004 (Liberation - 06:00)
a la sortie du tribunal, Hamé, rappeur du groupe la Rumeur, n'en revient pas. De son vrai nom Mohamed Boroukba, il comparaissait hier devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, pour diffamation publique à l'égard de la police nationale : «Je m'attendais à ce que cette salle d'audience soit une excroissance du ministère de l'Intérieur, à ce que le ton soit inquisiteur. Eh bien non. Ce ne fut pas le cas.» Et la salle a même dû refuser l'accès à de nombreux fans de la Rumeur.
Fanzine. L'affaire remonte à avril 2002. A l'époque sort le premier album de son groupe, l'Ombre sur la mesure. Le disque est accompagné d'un fanzine rédigé par les rappeurs, distribué dans les salles de concerts. Hamé y écrit un article de deux pages intitulé : «L'insécurité sous la plume d'un barbare». Quelques semaines plus tard, le ministre de l'Intérieur reproche à trois passages de ce billet d'humeur de «porter atteinte à l'honneur et à la considération de la police nationale en ce qu'il insinue l'existence de conduites illégales de la part des forces de police». Dans le texte, on peut lire, entre autres : «Les rapports du ministère de l'Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété.» Ou, un peu plus loin : «La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers, c'est avoir plus de chances de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières...»
A la barre, le rappeur s'explique : «On était au plus fort de la campagne présidentielle 2002 et on décrivait les jeunes des quartiers comme des hordes de barbares, des sauvages. Dans cet article, je voulais dénoncer les insécurités qui frappent les populations les plus fragiles, le chômage, l'alcool, l'échec scolaire... Les humiliations policières ne sont qu'une insécurité supplémentaire. Dans mon article, je n'ai pas cherché à faire de la police un bouc émissaire.» La présidente du tribunal lit l'article à voix haute. Puis elle commente : «Je ne sais pas ce que cela donnerait en rap mais c'est une belle plume. Nous sommes déjà au milieu de l'article, nous n'avons toujours pas abordé le sujet de la police.» Elle demande alors à cet étudiant détenteur d'une maîtrise en recherche audiovisuelle ce qui, dans ses expériences, a pu nourrir sa réflexion.
17 octobre 1961. Né à Perpignan il y a vingt-neuf ans, Hamé est le sixième enfant d'un ouvrier agricole d'origine algérienne. Son arrière-grand-père est mort lors de la Première Guerre mondiale, son grand-père au retour d'un camp de prisonniers. Il raconte : «Mon père a été ratonné à la fin des années 50. Mais c'est après mon bac, en habitant à Nanterre puis à Argenteuil, que j'ai fait l'expérience des vexations quotidiennes, lors des contrôles de routine. Puis la mémoire collective dans ces quartiers est ensanglantée par le 17 octobre 1961. Les grands frères nous ont raconté la police des années 70. A 20 ans, au début des années 90, il a fallu se familiariser avec les bavures policières... Quand je parle de centaines de morts, je fais référence aux quatre dernières décennies.»
L'historien Maurice Rajfsus vient étayer son propos. Entre 1977 et 2002, il affirme avoir recensé 196 morts suite à une intervention policière. Lors de son réquisitoire, la substitut a reconnu la bonne foi du prévenu, son manque d'animosité envers la police nationale, mais a retenu le caractère général de la première citation comme source de diffamation. Très confiante, la défense demande la relaxe.
Jugement le 17 décembre