Les juges font chanvre à part
A Angers, procès de deux horticulteurs accusés d'apologie du cannabis.
Par Arnaud AUBRON
mercredi 25 février 2004
Angers envoyé spécial
rois descentes de police. Deux gardes à vue. Une mise en examen. Un procès. Le tout en moins de quinze jours.. Il y a peu, les rapports de Stéphane R., 28 ans, et Alexandre Serrand, 23 ans, avec les autorités étaient pourtant tout ce qu'il y a de cordiaux. Fondateurs, en 2001, d'un magasin d'horticulture à Laval, ils comptent aujourd'hui six échoppes dans l'Ouest, salarient dix personnes et ont même obtenu une subvention de 3000 euros de la région. Seulement voilà, nos deux professionnels de l'horticulture sont spécialisés dans une fleur au statut un peu particulier: le cannabis. Spécialisation qui leur valait hier de passer devant la cour d'appel d'Angers pour «provocation à l'usage de stupéfiants», après une première condamnation, à Laval, à 1000 euros d'amende chacun et trois mois de prison avec sursis.
Publication. Officiellement, la justice leur reproche «d'avoir remis à leur clientèle le journal Soft Secrets». Bimensuel gratuit néerlandais (Libération d'hier) spécialisé dans le cannabis, cette publication ne fait pourtant l'objet d'aucune interdiction en France. Mais, selon le président de la cour d'appel, «en distribuant cette revue, les prévenus encouragent clairement les gens à violer la loi».
«En réalité, déplore Stéphane R., ce qu'on nous reproche c'est d'être passés à la vitesse supérieure. On veut freiner notre progression.» Citant les juges de première instance, l'avocat général a ainsi déclaré hier qu'on ne pouvait «tolérer que dans une petite ville comme Laval s'installe un magasin de cette espèce». Et il réclame la confirmation des peines.
«Nous sommes des commerçants, pas des militants, se défendait Alexandre Serrand, la veille de l'audience, aujourd'hui, on ferait mieux de dealer. Le même jour que nous, à Laval, un type a pris 250 euros d'amende pour 250 grammes de hasch.» «La vérité, c'est que c'est notre histoire, mais on n'y comprend plus rien», admet son collègue, visiblement dépassé par les événements.
«Growshops». Il existe en France plus de 150 «growshops», magasins dans lesquels se vend, en toute légalité, le matériel nécessaire à la culture de cannabis en intérieur (lampes, engrais, systèmes de culture hors sol.. ). Seul l'acte de produire est illégal. «Les autorités n'ont pas vu venir le phénomène, alors maintenant elles tapent dans tous les sens, dénonce Stéphane R., mais si le client d'un armurier se sert de l'arme pour tuer, on ne poursuit pas le commerçant. On n'y est pour rien si nos clients font pousser du cannabis.» Hypocrisie contre hypocrisie. «Il va falloir qu'ils règlent ce problème en amont, poursuit-il, certains articles que nous vendons peuvent être limites, mais aucun n'est interdit. S'ils changent la loi, on s'y conformera, en attendant, ces marchandises sont légales.» Et leur avocat, maître Bruno Illouz, de rappeler que la perquisition effectuée au magasin de Laval s'est révélée négative, et que ses clients ont signé, le 13 février, un contrat publicitaire avec le Lien.. magazine de la police nationale et des CRS, qui n'ont visiblement rien contre l'argent de l'enseigne. Quant à leur marque, Tout pour l'horticulture contrôlée (THC, le principe actif du cannabis), qui leur a également été reprochée, elle a été déposée sans difficulté à l'Inpi. «Coca-Cola, ajoute l'avocat, fait bien explicitement référence à la cocaïne..»
Enfin, assure maître Illouz, qui réclame la relaxe en revenant à l'infraction officiellement visée, «en matière de presse, le diffuseur n'est punissable qu'en l'absence d'organe représentant la publication. Ce qui n'est pas le cas dans cette affaire». Argument balayé par le président : «Vous l'avez distribué, alors on peut vous punir.»
En sortant de l'audience, l'avocat parisien est un peu désabusé: «Angers, c'est un peu une terre de mission.» Décision le 18 mars.
Liberation mercredi 25 février 2004