OEDT: l'Europe à 25 n'est pas préparée à l'explosion de la toxicomanie
(ENTRETIEN)
LISBONNE, 25 juin (AFP) - Placés sur les routes de l'opium afghan, les
nouveaux membres de l'Union européenne connaissent un développement accéléré
de la toxicomanie auquel l'Europe élargie à 25 n'est pas préparée à faire
face, selon l'Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie (OEDT).
Malgré l'imprécision des données sur l'ampleur du phénomène, les adhérents
d'Europe centrale et orientale "sont en train de franchir les étapes
que les
pays d'Europe occidentale ont mis beaucoup de temps à parcourir",
indique à
l'AFP le directeur exécutif de l'OEDT, Georges Estievenart.
On assiste selon lui à "un phénomène de rattrapage de l'ancien
modèle de
consommation, dans les pays de l'Europe de l'Est" peu touchés par
la
toxicomanie jusqu'en 1989, à savoir l'injection d'héroïne par intraveineuse.
"La consommation d'héroïne, traditionnelle dans les années 70,
80, 90 (en
Europe de l'Ouest), est en train de croître assez rapidement dans ces pays",
avec pour corollaire la contamination par les virus du sida et de l'hépatite
B
et C, dit M. Estievenart.
Simultanément, "parmi la jeunesse, la consommation de drogues synthétiques,
notamment d'ecstasy, est elle aussi en train d'exploser". Et la production
de
drogues synthétiques se met en place, surtout en Pologne.
En Europe occidentale "ces deux phénomènes ont été successifs".
Alors que le nombre de consommateurs "problématiques" d'opiacés
est évalué
entre 1 et 1,5 million dans l'Europe des Quinze, avec l'Europe centrale
et
orientale "nous allons très vite passer les 2 millions" estime-t-il.
"C'est une situation très préoccupante", d'autant que les
systèmes de lutte
contre la drogue et la toxicomanie "sont très largement à mettre en
place dans
les pays d'Europe centrale et orientale". "On part presque de
zéro en matière
de prévention et de traitement notamment".
Les programmes de substitution à l'injection d'héroïne par la méthadone
notamment, avec 300.000 places couvrent à peu près les deux tiers des besoins
en Europe occidentale. Chez les nouveaux adhérents, il n'y a que 6.000
places,
selon le responsable de l'OEDT.
Circonstance aggravante, "la production d'opium a remonté énormément
en
Afghanistan", ajoute le responsable de l'OEDT. De 200 tonnes en 2000,
elle est
passée à 3.400 tonnes cette année.
"Nous avons parmi les 15 une certaine stabilisation de la consomamtion
d'héroïne, mais nous avons manifestement un potentiel de croissance de
la
demande dans les pays qui sont sur la route et qui étaient autrefois
essentiellement des pays de transit", indique M. Estievenart.
"On va vers un problème à 25 qui sera nettement plus complexe
et difficile
à maîtriser", avertit-il, en déplorant l'absence de réponse organisée
au
niveau de l'UE.
"Ces pays attendent des modèles, mais on est assez démunis".
"Il n'y a pas
de compétence communautaire transversale dans le domaine de la drogue,
raison
pour laquelle nous avons aujourd'hui 15 politiques et nous en aurons demain
25", souligne-t-il.
L'OEDT a milité pour que la Convention sur l'Avenir de l'Europe reprenne
la question de la drogue dans le cadre des compétences partagées. Mais
dans le
projet de constitution européenne actuel, "il n'y a pas de prise en
charge
dans sa globalité du problème de la drogue".
M. Estievenart reste cependant optimiste: "Je pense que la perspective
de
l'élargissement va reposer ce problème".
En outre,"l'opinion publique perçoit mieux la nécessité d'européaniser
l'action contre les drogues que les Etats-membres eux-mêmes". Un sondage
réalisé en 2002 par Eurobaromètre montrait que "le problème de la
drogue était
perçu comme l'un des trois ou quatre sujets prioritaires".