En avant-première, ce texte encore "officieux", car il doit auparavant recevoir les avis, corrections ou approbations des copains, que j'ai rédigé pour le CIRC. Donc encore "sous réserve de validation", bien que ce soit dans la forme le CIRC Paris qui s'exprime, considérons que cela n'est encore que mon analyse personnelle, bien que déjà deux copains du CIRC aient apporté leurs pierres et leurs remarques à l'ensemble.
Oblifgé de le couper en deux, car le form a des limitations de taille.
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A propos du rapport de la commission sénatoriale
La commission d’enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites a remis le 4 juin son rapport, un volumineux rapport de 1200 pages. Le jour même, le Collectif d’information et de recherche cannabique (CIRC), après en avoir pris connaissance, le qualifiait de " réactionnaire " et d’" idéologique ". Après une lecture approfondie, le CIRC maintient cette double qualification.
Idéologique
Les termes mêmes désignant cette commission sont déjà parlants : " politique " de " lutte " " contre " les " drogues illicites ", quatre termes qui, pour ces sénateurs, sont indissociables. Quant au titre du rapport, l’" autre cancer ", il résume bien le thème du " fléau ", sorte d’épouvantail agité devant l’opinion pour disposer de davantage de moyens de coercition et de contrôle social.
Tous ses travaux ont été guidés par des" convictions " maintes fois répétées lors des auditions : " Il n’y a pas de fatalité de la drogue, on n’a pas le droit de baisser les bras... Bon, c’est bien parce que nous avons cette conviction que nous avons constitué cette commission d’enquête, pour faire le point et pouvoir déboucher sur des possibilités d’action, des possibilités de politique publique et autres qui soient vraiment efficaces pour lutter contre ce fléau. " [Bernard Plaisat, audition de Francis Curtet.] D’ailleurs la présidente de cette commission, Nelly Olin, maire UMP de Garges-lès-Gonesse, animait déjà auparavant un groupe de sénateurs ayant pour thème " la lutte contre la drogue " (et les drogués). Ce rapport se devait donc être le pensum de référence des prohibitionnistes purs et durs de la droite actuellement avec tous les pouvoirs.
Outre la volonté d’enterrer le rapport de la commission Henrion et de vouer aux gémonies les timides avancées de la MILDT ou la mise en perspective du rapport Roques, cette commission d’enquête se devait donc de répondre, de contrer les arguments et les propositions antiprohibitionnistes, à commencer par ceux du CIRC et du MLC de Francis Caballero, et accessoirement ceux de Francis Curtet, qui n’ont pas les mêmes préoccupations ni les mêmes démarches pour demander un changement législatif débouchant sur la légalisation du cannabis.
Après avoir résumé en vrac divers discours pro-légalisation, ils entament donc l’exercice périlleux de démontrer que seule la prohibition stricte est la politique idoine à l’égard du chanvre récréatif. " Les arguments sont bien connus et paraissent au premier abord séduisants (…) ", commence par affirmer le rapport. " Bien connus " ? S’ils l’étaient réellement, et avaient été réellement débattus au sein de la société, peut-être que la légalisation serait effective aujourd’hui. D’autant que le débat est sérieusement bridé par la loi et l’article xxxx (ex-L. 630 du Code de la santé publique) et que bien souvent affirmer que la légalisation du cannabis serait une option intéressante ou que les consommateurs n’ont pas à être considérés comme des délinquants est assimilé à une " présentation sous un jour favorable d’un stupéfiant ", ce qui conduit les auteurs de ces opinions devant les tribunaux pour y être condamnés. Le CIRC en a fait plus d’une fois l’amère expérience.
Cependant, ces sénateurs n’ont pu faire moins que qualifier ces arguments de " séduisants ", reconnaissant par là un discours somme toute cohérent, malgré la diversité des raisons invoquées selon les préoccupations parfois contradictoires des tenants de la légalisation. Un jugement positif qui n’est pas sans rappeler la définition de l’hypocrisie, " hommage du vice à la vertu ", mais qui marque l’embarras réel des commissaires, qui vont devoir recourir à une rhétorique faite de sophismes et confusions volontaires : " … mais l’analyse de leurs conséquences concrètes conduit à les invalider ". Etonnant, car à ce jour aucune réelle légalisation n’a été mise en œuvre, seulement quelques timides dépénalisations de l’usage. Comment donc peuvent-ils analyser des " conséquences concrètes " ?
Des confusions savamment entretenues
" a) En termes de sécurité : la disparition du crime, une utopie "
En fait, les " conséquences concrètes " étudiées sont celles des dépénalisations simples déjà essayées ici ou là, et non celles envisagées de la légalisation réelle. Une confusion volontaire est entretenue dans leur réfutation entre la légalisation, qui a la volonté de régler la question de la production et de la distribution en leur fournissant un cadre légal, et la dépénalisation de l’usage simple, qui maintient la prohibition de l’approvisionnement des consommateurs, et donc l’existence d’un trafic illicite. Exercice auquel s’était déjà exercé le rapporteur du Sénat dans un article du Figaro à propos de l’Espagne post-franquiste : " Le système reposait sur le principe que la libéralisation de la consommation devait casser le trafic et rationaliser les comportements du fait même de la disparition de l'interdit (autrement dit la " légalisation "). C'est tout le contraire qui s’est produit. Le trafic a explosé " (voir annexes). Mais ici, le rapporteur a quand même été moins grossier dans son raisonnement.
Autre confusion à l’honneur, vieille comme la prohibition, l’amalgame entre toutes les drogues illicites, alors que l’antiprohibition réclame un " accès aux produits selon des modes différenciés " (plate-forme du Collectif pour l’abrogation de la loi de 1970, ou CAL70). Ils vont donc déporter les modes de distribution proposés pour le cannabis aux autres drogues, et invoquer la cocaïne, par exemple, pour rejeter la légalisation du cannabis : " Outre certaines études évoquant un lien entre l’administration régulière de cocaïne et d’amphétamines (cannabis non cité…) et des comportements paranoïdes, en conséquence directe de l’action des drogues sur le cerveau (là, l’amalgame général est fait, mais épargnant les boissons contenant de l’alcool), la disparition de la délinquance du fait d’une légalisation des drogues apparaît utopique. " Il y a un autre abus rhétorique, car la légalisation n’a jamais eu la prétention d’éradiquer la " délinquance " dans son ensemble, mais seulement celle liée au commerce, actuellement un trafic aux mains d’organisations souvent criminelles, ou celle en rapport avec l’approvisionnement, la détention ou l’autoproduction. Il est évident par ailleurs que si la consommation de cannabis et sa détention n’étaient plus des délits, les chiffres de la délinquance chuteraient mécaniquement de 80.000 à 90.000 unités…
Leur argutie ne s’arrête pas en si bon chemin. "De plus, il est illusoire d'imaginer que les trafiquants cesseraient du jour au lendemain leur activité pour devenir des citoyens respectueux de l’ordre et de la loi. Il est certain qu'ils chercheraient une reconversion dans d’autres activités tout aussi lucratives (pédo-pornographie, contrefaçon, trafic d’organes...), voire des braquages. " Vieille antienne parfaitement fallacieuse : les organisations criminelles ont toujours recherché des profits dans toutes les activités illicites possibles, et le commerce des drogues illicites, et plus précisément du cannabis, n’a été pour beaucoup d’entre elles qu’une diversification, servant à placer des capitaux acquis par d’autres activités délinquantes, comme les braquages. En revanche, il est vrai qu’un grand nombre de consommateurs petits revendeurs préféreraient n’être que d’honnêtes commerçants avec licence – Me Caballero avait évalué à 18.000 emplois créés une légalisation, soit un nombre supérieur à celui des petits revendeurs condamnés chaque année…
Une conséquence incidente de la prohibition dans ce domaine que les sénateurs semblent avoir oubliée (et que légalisation résoudrait dans des proportions importantes), c’est la porosité actuelle des milieux en raison d’une illégalité partagée, pas seulement entre ceux des " drogues dures " et ceux des " drogues douces ", mais entre usagers, usagers-revendeurs et grand banditisme, qui fait qu’un certain nombre des ces petits " dealers ", lesquels doivent s’adresser à des organisations mafieuses structurées pour acquérir le shit en gros ou demi-gros, se trouvent parfois aspirés dans la grande délinquance, souvent sans avoir le choix. Une grande délinquance qui recrute de plus en plus d’hommes de main dans ces milieux gris, qui ont appris les lois des activités clandestines, en profitant de leur faiblesse, de leur dépendance à l’égard de l’approvisionnement assuré et de leur vulnérabilité pénale.
Sur ce terrain, le rapport va même jusqu’à affirmer avec une rare audace : " L’augmentation des braquages en Ile-de-France ces dernières années résulterait également de la dépénalisation de fait de l'usage de drogues en France. " Malgré une précaution oratoire avec l’emploi du conditionnel, il y a un gros problème de logique générale. D’un côté le rapport affirme qu’une légalisation pousserait les organisations criminelles vers des activités plus dangereuses pour la société (ce qui relativiserait alors l’impact négatif des trafics, en ferait même une chose positive…) tout en soulignant qu’une dépénalisation a pour conséquence l’explosion desdits trafics, et de l’autre que cette " dépénalisation de fait " entraîne davantage de grand banditisme… parce que moins de profits à attendre des trafics !
Apparemment, la cohérence n’est pas le souci majeur de leurs contre-arguments, et c’est bien à un exercice d’acrobatie logique avec nombre de contorsions alambiquées qu’a recours l’auteur du rapport pour réfuter les argument " séduisants " des abolitionnistes de la prohibition. Autre exemple significatif des artifices utilisés : " En outre, même si les drogues étaient légalisées, il resterait vraisemblablement de quoi constituer un marché noir, notamment si certaines classes d’âge étaient interdites de consommation ou si certaines drogues (comme le crack et les drogues de synthèse) n'étaient pas légalisées. " Au minimum, si l’on retient cette affirmation (présentée plus haut comme une des " conséquences objectives ") un reliquat de trafic bien plus restreint qu’aujourd’hui, et qui serait de facto beaucoup plus facile à combattre.
A croire que le rapporteur préfère la " politique du pire ", souhaite que la consommation des drogues causent grâce à la loi le maximum de problèmes, sans doute pour pouvoir agiter l’épouvantail du fléau et apparaître politiquement comme des sauveurs, se drapant à peu de frais de la toge de la vertu. On se demande si les commissaires dans leur majorité ne rejettent pas la légalisation au prétexte qu’elle ne résoudrait pas d’un coup tous les problèmes de la société – ambition que la légalisation n’a jamais eue –, et ce même si elle amenait une amélioration sensible sur le terrain de la sécurité publique, qu’ils ont du mal à nier. Et curieusement, ils annoncent des effets de la légalisation qu’ils recherchent en réalité avec la prohibition : " Je pense donc que si l’on se lance dans cette voie [la légalisation], on risque d'entrer dans une partie de bras de fer et une compétition avec des gens qui sont naturellement dépourvus de tout scrupule. C’est le danger. " Si c’est réellement un danger, cette " partie de bras de fer ", pourquoi donc le recherchent-ils avec une prohibition totale de grande ampleur ?
" b) En termes de santé publique "
Pour ce faire, les auteurs du rapport vont bien entendu tenter de présenter le cannabis comme une drogue très dangereuse, beaucoup plus dangereuses que l’alcool, comparable en tous points à l’héroïne, et même plus dangereuse encore car ayant en plus les mêmes dangers que le tabac, dans des proportions supérieures. Pour étayer ces thèses qui vont à contre-courant des études des dernières années, ils ont pour cela reçu tout le ban et l’arrière-ban des prohibitionnistes, évitant soigneusement quelques experts reconnus comme le Pr Tassin du Collège de France.
Leur attaque commence par un non-sens, ou par une manipulation maladroite des raisons invoquées par les partisans de la légalisation du cannabis comme le CIRC : " S’agissant du cannabis, une mesure de libéralisation n'a aucune incidence favorable sur la politique de réduction des risques qui vise essentiellement les drogues injectables. " D’abord les tenants de la légalisation du cannabis n’ont jamais affirmé cela, ensuite ce sont deux questions distinctes qui n’ont aucun rapport, si ce n’est que d’être régies par une loi qui fait l’amalgame entre tous les produits. La légalisation du cannabis n’aura également aucune incidence sur le fléau des marées noires à répétition.
Après ce mélange artificiel des genres digne d’un prestidigitateur, qui a détourné l’attention du lecteur pressé, ils peuvent avancer dans le mouvement une contrevérité manifeste : " Il n’est pas certain que la prise en charge des toxicomanes dépendants, notamment par voie intraveineuse, soit meilleure. " Dans la mesure où les services sanitaires spécialisés ne seront pas surchargés, submergés par des injonctions thérapeutiques inutiles distribuées à la chaîne, faisant de ces intervenants socio-sanitaires des auxiliaires judiciaires pour contrôler et suivre les dizaines et dizaines de milliers d’interpellés, sous le contrôle étroit de l’appareil judiciaire, on peut sans risque et en toute logique affirmer le contraire. A moins de dégager des moyens financiers très importants, assurant les salaires et charges de tous ces milliers d’intervenants sanitaires auxiliaires de police supplémentaires, nécessaires pour traiter l’afflux massif à venir si le projet de cette commission est mis en œuvre en l’état, ainsi que le fonctionnement des structures, et ce alors que tous les crédits pour ce volet sanitaire des usages de drogues illicites ont été réduits, voire gelés, supprimés, l’effort se portant essentiellement sur la seule répression, qui fut pratiquement la seule à avoir vu ses moyens augmenter significativement, alors que la rigueur et les restrictions sont imposées à tous les autres secteurs.
" Pour 60 % des personnes s'étant vu prononcer une injonction thérapeutique, il s’agissait d'un premier contact avec les structures de soins. Or une légalisation ferait disparaître cette contrainte de caractère thérapeutique sur les intéressés ", enchaîne ce rapport. Alors bien entendu, pour réfuter la légalisation du cannabis, toujours sujet principal de l’argumentaire développé ici, il est une fois de plus fait usage de la confusion générale entre toutes les drogues. Cette confusion est alors filée comme une métaphore de précieuse en rappelant que l’objectif des injonctions thérapeutiques, par ailleurs contestées (" Si l'injonction thérapeutique était contestée par certains médecins qui récusent l'idée de soins sans volontariat du patient "), n’est pas obligatoirement le sevrage, et que déjà " les interpellations pour usage ne devaient pas intervenir à proximité de structures de bas seuil ou des lieux d'échanges de seringues ". Mais cela, une fois de plus, ne concerne en rien le cannabis !
Cette volonté d’amalgame entre héroïne et cannabis entretenu à coups de confusions et de mélanges abusifs des genres se retrouve tout au long de ces 1.200 pages, et parfois en frisant le ridicule, lorsqu’il s’agit de présenter les produits à ceux qui en ignoreraient tout : " Le plus souvent le haschich est fumé mélangé à du tabac ; il est beaucoup plus rarement injecté par voie intraveineuse ou utilisé sous forme de comprimé. " Malgré cette précaution oratoire de " beaucoup plus rarement ", ils affirment sans rire l’existence de telles pratiques pour les consommateurs de cannabis. A la rigueur qu’un héroïnomane très avancé en manque de produit s’injecte tout et n’importe quoi y compris du haschisch, qui n’est pas du tout sa substance de prédilection, comme il le ferait de cachets d’aspirine ou de neuroleptiques, pourquoi pas ? Mais cela n’a jamais été une pratique de cannabinophile ! Quant à cette présentation sous forme de " cachet " pour le haschisch, on nage ici en pleine science-fiction, cette galénique n’a jamais existé dans l’usage récréatif. Il y a bien récemment quelques produits pharmaceutiques avec du THC qui sont apparus, mais ils ne concernent pas l’usage actuel.
" (1) Les dangers avérés du cannabis "
Sous ce titre, qui par ce choix de vocabulaire exclut d’emblée toute contestation, artifice littéraire quand il s’agit d’affirmer un dogme discutable, un inventaire à la Prévert des dangers est établi, sans le moindre discernement, sans la moindre nuance, et n’hésitant pas à modifier légèrement leurs références pour justifier cet adjectif " avéré ".
Il en est ainsi par exemple de l’emploi qu’ils font du rapport de leurs homologues du Sénat canadien, qui ont précédé de quelques mois cette initiative du rapporteur Bernard Plaisat. Rappelons d’abord que le rapport canadien avait conclu à la nécessiter de légaliser réellement le cannabis, à partir d’une masse d’informations soigneusement compilées et mises en perspective. De celles-ci, les auteurs du rapport n’ont retenu que celles, peu nombreuses, qui pouvaient appuyer l’orientation répressive choisie dès la création de la commission française, faisant semblant d’ignorer toutes les autres, pourtant tout aussi intéressantes et pertinentes. Mais comme elles n’étaient pas encore assez alarmistes pour eux, ils se sont empressés de dénaturer le rapport canadien dans leurs citations, remplaçant les conditionnels dubitatifs par des indicatifs d’affirmation définitive, supprimant le contexte évoqué et les nuances prudentes exprimés, faisant de quelques dizaines de cas signalés pour plusieurs types de cancer une généralité frappant tous les fumeurs de joints. Une simple lecture croisée entre les références françaises au rapport canadien et l’original suffit pour se convaincre que l’idéologie l’emporte sur la vérité, sur l’honnêteté intellectuelle nécessaire quand on fait appel à une référence extérieure pour appuyer son affirmation.
Dans cet inventaire qui se veut exhaustif, faisant souvent de quelques cas rarissimes de généralités touchant potentiellement tous les fumeurs de chanvre indien, le CIRC retient en premier l’affirmation que le cannabis est cause de schizophrénie.
Il y a effectivement une concordance entre l’âge des premières consommation et celle de l’apparition des premiers symptômes reconnaissables, visibles de la schizophrénie, maladie héréditaire, qui ne se révèlent quasiment jamais avant 18 ou 20 ans, et qui s’aggravent tout au long de la vie, en suivant des formes aujourd’hui classées, allant du suicidaire, des bouffées délirantes à des comportements violents, criminels et psychopathes.
Même si le diagnostic de schizophrénie tarde un peu à être établi, le sujet ressent depuis longtemps déjà certains malaises psychiques et trouve, lors de ses premières expériences du cannabis vers 16-17 ans, un certain soulagement, qu’il recherchera de plus en plus, entraînant parfois un comportement compulsif, qui n'est autre qu'une automédication. Alors, bien sûr, quand le diagnostic de schizophrénie est enfin établi, on constate qu'avant le sujet s'était mis à consommer, souvent massivement, du cannabis...
Il est toujours difficile tant pour le sujet que pour la famille de reconnaître une véritable maladie mentale héréditaire, une certaine folie naturelle de l'individu, la tentation est irrésistible d’accuser le cannabis de cet état de fait inquiétant... D’autant que cette automédication a parfois retardé le diagnostic, ralenti le développement de la maladie, ce qui la place en amont de la manifestation des symptômes déterminants.
Si cette affirmation que le cannabis cause et précipite la schizophrénie était juste, on aurait dû constater partout où l’usage du cannabis s’est développé une augmentation spectaculaire, du moins sensible, du taux de schizophrènes, du nombre de cas rapporté à la population générale. Or celui-ci est stable depuis qu'il a été établi, n'a pas augmenté avec le développement de la consommation et est identique quel que soit le pays. Un des auditionnés leur a d’ailleurs fait remarquer cet état de fait qui suffit à lui seul à rejeter la théorie que le cannabis occasionne la schizophrénie, mais ils ont préféré les études sophistes de Suédois ou d’Américains travaillant à diaboliser le cannabis pour cautionner les politiques répressives de ces Etats, activité sans doute fort lucrative car bénéficiant de toutes les aides publiques possibles.
Cela dit, ce ne sont pas les seules concordances chronologiques utilisées pour terroriser à propos du cannabis. Il y a aussi, beaucoup plus couramment que la schizophrénie, la concordance entre ce qu’on appelle de façon fourre-tout les " problèmes de l’adolescence ", et les premières expérimentations du cannabis. Et il est plus facile et démagogiquement plus rentable de désigner le cannabis comme responsable et se voiler la face sur bien nombre d’autres problèmes psychologiques que de se pencher sur la personnalité réelle. On peut ainsi observer, concernant les consommations jugées problématiques parce que excessives, voire compulsives, la même " automédication " qu’à propos de la schizophrénie se révélant.
Et puis il n’y a pas que le cannabis comme symptôme, la boulimie ou l’anorexie suivent les mêmes démarches. L’hypersensibilité est négligée en tant que telle, jugée comme une faiblesse dommageable, et même coupable quand il y a la recherche spontanée d’une prise de distance par le cannabis pour relativiser et s’analyser calmement dans la recherche de soi-même. Les suicides sont le véritable fléau de la jeunesse, et sont le symptôme le plus dramatique des souffrances que traversent parfois les jeunes, que ce soit face à leur avenir, à leur entourage dont ils se sentent incompris, ou plus banalement suite à un dépit amoureux.
Si le cannabis aide ainsi certains à passer ces épreuves de la transformation brutale de soi-même et de la confrontation au réel, de cette totale remise en question des conceptions même de l’existence, comme de nombreux témoignages l’attestent, il pourrait être même jugé comme bénéfique s’il n’avait ces conséquences sociologiques dommageables de la marginalisation symbolique en raison du statut légal actuel du chanvr e indien. A tout le moins comme un moindre mal, qu’il convient d’accompagner avec une prévention intelligente et adaptée, comme " jamais avant les cours ", ou " seulement le soir chez soi ou avec les amis dans un cadre festif ", par exemple.
En tout cas, ces questions sont nettement plus complexes que les affirmations à l’emporte-pièce des certains auditionnés, reprises avec empressement par la commission, et ne ressortissent en aucun cas, sur le fond, du domaine judiciaire, et encore moins à transformer tous ces jeunes en " délinquants " par un artifice législatif. Ces " automédications " ne peuvent être considérées comme des délits ! Pas plus que l’achat d’aspirine ou la cuite du chagrin d’amour.
Le CIRC ne nie pas certains risques liés au cannabis, informe même sur certains de ses inconvénients. Il continuera donc pour cela à se référer au rapport sénatorial canadien en rejetant le rapport du Sénat français qui l’a suivi, jugeant plus crédibles ses informations détaillées que celles du Sénat français qui entretient toutes sortes de confusions et de contrevérités manifestes. Ou également l’article de la Recherche consacré au sujet, qui critique par ailleurs l’idéologie répressive ambiante qui brouille la vérité, un peu avec la méthode de la presse américaine justifiant la guerre en Irak à coups de mensonges ou d’informations erronées et déformées, tout en développant une campagne anti-française pour fustiger ceux qui ne suivent pas le dogme. Sur ces questions de l’informations concernant les réels dangers du cannabis, le rapport sénatorial n’apporte rien, si ce n’est que des confusions et des amalgames grossiers, rejetant tous les éclaircissements durement apportés récemment quand on a tenté de sortir de l’idéologie prônée par le rapporteur et la présidente de cette commission.
Il s’agit de mettre toutes ces informations concernant les vices du cannabis en perspective, d’abord en distinguant bien ce qui est attribuable de la consommation elle-même, au produit seul, de ce qui est causé par le contexte social, celui de l’âge, et bien sûr par le contexte légal, qui pousse à la clandestinité, à tout le moins à une grande discrétion pour la majorité des fumeurs. Ce qu’avait fait par exemple le rapport Roques, tant critiqué au cours des auditions.
On sait ainsi que la répression frappe plus sûrement, plus systématiquement les " désocialisés ", visibles, cibles naturelles des forces de police, que les fumeurs socialement parfaitement intégrés, quasiment invisibles sauf coup de malchance, ce qui occasionne une grande distorsion de la réalité à travers les statistiques policières. Mais cela permet aux sénateurs d’affirmer que le cannabis " désocialise " à partir des statistiques policières, sans la moindre discussion. Cela en plus du fait que l’illégalité de cette consommation pousse à la clandestinité… comme naguère l’homosexualité.