L'intégralité de la discussion du lundi 5 mai avec le docteur William Lowenstein, spécialiste des addictions, sur le chat du Monde, aujourd'hui à 14h30.
Berny : Existe-t-il une dépendance au cannabis ?
William Lowenstein : Oui. Surtout psychologique et un peu physique. Psychologiquement, une difficulté à ré-imaginer la moindre activité, le moindre mouvement, le moindre contact avec autrui sans produit.
Physiquement, le sevrage peut se manifester par des troubles du sommeil, de l'appétit, une irritabilité et une tendance dépressive.
Kanada : Comment se situe la dépendance au cannabis par rapport à la dépendance du tabac ?
William Lowenstein : Comparée à la tabaco-dépendance, la dépendance au cannabis peut être considérée comme plus légère et plus facile à stopper. A condition de ne pas oublier que beaucoup mélangent le cannabis à du tabac et que le sevrage du cannabis peut s'accompagner chez ceux-ci d'un sevrage tabagique et donc, cumuler les désagréments de l'arrêt.
Elzeard : A partir de quel niveau de consommation ces dépendances apparaissent-elles?
William Lowenstein : Plus facilement que de répondre en quantité, on pourrait proposer d'imager le passage de l'abus à la dépendance quand : - le besoin remplace le désir ; - l'impériosité remplace l'influence ; - bref, quand la survie remplace la vie.
GÉNÉRATION CANNABIS
Thomaska : Peut on parler, pour le cannabis, de consommation générationnelle ?
Tenveuuuu : Selon vous, à quoi doit-on attribuer le succès du cannabis chez les jeunes ?
William Lowenstein : Clairement, oui, la consommation de masse explose avec les années 1970. Même si la consommation de cannabis existe depuis l'Antiquité. On parle toujours du cannabis et des jeunes. Il nous manque des études sérieuses pour confirmer que l'usage chronique du cannabis existe en France assez largement aussi chez des 40-50-et 60 ans. Vraisemblablement, plusieurs raisons : 1/ le succès du cannabis dans la génération précédente, c'est-à-dire celle des parents. 2/ L'échec du système répressif en ce qui concerne l'approvisionnement, donc une disponibilité très forte du produit. 3/ Une image culturelle, universelle, plutôt positive. 4/ Les effets mêmes du produit permettant une ivresse rapide et sans conséquence grave immédiate dans l'extrême majorité des cas. 5/ Et enfin, le fait que le cannabis soit fumé et s'associe comme le tabac à un rituel initiatique dans la plupart des sociétés des pays développés. Fumer pour être adulte....
Julian : En quoi le cannabis est il "plus mal vu" que l'alcool qui doit sûrement faire autant d'"adhérents" chez les jeunes ?
William Lowenstein : La réponse est historique, géographique et économique. Historiquement, les drogues négatives sont toujours celles de l'"étranger" et si possible celle de l'hémisphère Sud. Géographiquement, plein de Français naissent dans de grandes régions vinicoles et économiquement, tout le monde connaît l'importance de la production vinicole française. Enfin, le cannabis est une substance psycho-active illicite, pas l'alcool.
Tenveuuuu : Quelles sont les raisons sociales à la consommation de cannabis, selon vous ?
William Lowenstein : Elles sont devenues culturelles. Le pays le plus démonstratif actuellement est la Nouvelle-Zélande avec 75 % de "jeunes" qui usent du cannabis. L'usage de cannabis, malgré son interdiction, est devenu un fait de société en une trentaine d'années aussi usuel que la consommation d'alcool... en France.
Cam : Existe-il des risques à long terme d'une consommation régulière de cannabis ?
William Lowenstein : Oui. Physiquement, les méfaits sont essentiellement pulmonaires et cardio-vasculaires, comme pour le tabac : bronchite chronique, insuffisance respiratoire, cancer du poumon, coronarite et artérite. Sur le plan psychique, une tendance de plus en plus marquée à la passivité, à l'immobilité et à se satisfaire de pas grand-chose...
Manu : Le cannabis est 'il aussi "démoniaque et subversif " qu'on nous le dit (fléau de la drogue, théorie de l'escalade) ?
William Lowenstein : Deux choses : à ma connaissance, comme à celle de la plupart de mes collègues sérieux, le cannabis ne rend ni sourd, ni stérile, ni fou. Il n'empêche qu'il existe certaines vulnérabilités psychologiques qui doivent contre-indiquer son usage. Agiter la rhétorique du fléau est un des réflexes les plus communs lorsqu'on a du mal à analyser un problème et encore plus de mal à proposer des solutions. En aucun cas, il n'est légitime de parler de fléau avec le cannabis. Et de même, si nous devons parler de théorie de l'escalade, il faut insister sur le fait que plus les jeunes fument précocement du tabac, plus ils auront de probabilités de fumer du cannabis. La théorie de l'escalade "qui fume un joint, finit junky dans le ruisseau" est démentie depuis plus de vingt ans, mais si le cannabis ne rend pas sourd, il faut croire qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Ce sont de multiples autres facteurs qui vont faire qu'une personne qui a fumé du cannabis va devenir dépendante à l'alcool, à l'héroïne ou à la cocaïne.
LA LÉGALISATION EN QUESTION
Ecs : Quelles incidences aurait pour vous la légalisation du produit sur le marché français ?
William Lowenstein : La légalisation augmenterait vraisemblablement l'accès au produit et donc, dans un premier temps, le nombre d'usagers. Dans un second temps, les principes de régularisation des consommations sont d'ordre différent. Il faut bien comprendre aujourd'hui que ce qui fait fumer du cannabis, dans la plupart des pays, n'est pas que le cannabis soit permis ou interdit.
Berny : Que pensez-vous des expériences hollandaises de "coffee- shops", véritables magasins à cannabis ?
William Lowenstein : Les expériences hollandaises se sont voulues très protectrices en cloisonnant l'usage du cannabis et les usages de drogues dites plus dures comme l'héroïne ou la cocaïne. Elles auraient été un succès si, d'une part, la Hollande n'avait pas été le seul pays en Europe à tenter cette expérience sociale et si, d'autre part, il avait été possible de mieux protéger ces coffee-shops du système mafieux qui avait en plus le port de Rotterdam pour approvisionner toute l'Europe en drogues illicites lourdes.
Sativa : Que pensez-vous des nouvelles lois proposées par M. Sarkozy pour freiner la consommation des jeunes ?
William Lowenstein : A partir de l'instant où le maintien de l'interdit est confirmé, il est souhaitable d'avoir une loi adaptée et applicable. Décriminaliser l'usage de cannabis est un premier pas digne et adapté. Après, savoir s'il faudra construire des garages à scooters près des réceptions des cliniques, c'est une autre histoire.
Julian : Existe-t-il une réelle volonté politique de différencier les drogues ?
William Lowenstein : Actuellement, oui.
Manu : Qu'en est-il pour les adultes ? Peut-on appliquer des sanctions de même niveau que pour les ados ?
William Lowenstein : Hier, un des participants à l'émission proposait de confisquer le dentier aux plus de 60 ans....
Legalize : Après douze années de fumette, mon principal but est de trouver une marchandise moins forte que celle du marché noir. Impossible, car les règles du marché sont la rentabilité. Je ne compte pas me faire un rail de coke, je voudrais juste fumer un joint le soir chez moi, sans être défoncé trois heures de suite. La légalisation de la plante permettrait à chacun de choisir sa propre puissance. Qu'en pensez-vous ?
William Lowenstein : La légalisation n'a pas été retenue comme étant une solution protectrice, adaptée à notre pays. Le maintien de l'interdit a été récemment confirmé. Le maintien de l'interdit de la culture pour sa propre consommation également.
L'USAGE THÉRAPEUTIQUE DU CANNABIS
Aeris : Que pensez-vous du cannabis thérapeutique ?
William Lowenstein : C'est une discussion totalement différente. La question doit être posée sérieusement, scientifiquement, comme pour un nouveau médicament à mettre sur le marché. Il existe actuellement en France deux protocoles de recherche, l'un sur les affections neurologiques dégénératives, comme la sclérose en plaques, et l'autre sur les effets secondaires des traitements des hépatites C.
Sativa : Pensez-vous que le cannabis peut être un traitement contre l'alcoolisme chronique ?
William Lowenstein : L'histoire des addictions rapporte un grand nombre de passages substitutifs d'un produit à l'autre. Je ne pense pas que le cannabis puisse être conseillé comme traitement de l'alcoolo- dépendance ; cela ne veut pas dire qu'un individu ou plusieurs n'aient pas trouvé un soulagement ou une protection en fumant du cannabis lorsqu'il a arrêté sa consommation d'alcool.
Oxy : Pensez-vous que la légalisation faciliterait le travail de prévention et celui de la thérapie ?
William Lowenstein : Si on prend les exemples du tabac et de l'alcool, on constate la difficulté d'installer une prévention immédiate en cas de légalisation. Ce n'est que tout récemment, ou depuis une dizaine d'années, que la prévention sur l'alcool et sur le tabac s'organise réellement, à partir de l'école primaire et dans la vie au quotidien. Il est probable que le maintien de la répression continuera de compliquer une prévention objective, réaliste et crédible. Pour le cannabis thérapeutique, il faut le considérer comme une piste médicamenteuse sérieuse à explorer et totalement détacher cette réflexion et les études qu'elle impose de la problématique du cannabis récréatif.
Raphia : J'ai suivi hier le débat sur France 5, et c'est la première fois que j'entends que la loi de 1970 comporte un volet répressif et thérapeutique : or, quels soins sont réellement apportés ?
William Lowenstein : Le législateur en 1970 s'est vraiment torturé l'esprit pour promouvoir une loi protectrice pour l'usager et protectrice pour la société à une époque où la " French connection ", et la Mafia, prenaient de plus en plus de pouvoirs dans le sud de la France. Hélas !, les années s'écoulant, le volet répressif a été constamment renforcé par toute une série de circulaires et le volet thérapeutique s'est résumé à quelques actions isolées et la plupart du temps, peu efficaces.
Laurent : Que pensez-vous des réactions de l'Académie de médecine tendant à presque diaboliser le cannabis et du même coup à tenter de décrédibiliser le rapport Roques, lequel tentait de dépassionner le débat en traitant sereinement de tous les toxiques légaux et illégaux ? De même avez-vous un avis sur la proposition de Nicolas Sarkozy visant à sortir le tabac du champ d'action de la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, NDLR) ?
William Lowenstein : Le rapport sur la dangerosité des drogues du professeur Bernard Roques a été un travail aussi sérieux que novateur pour médicaliser le débat et tenter de le dépassionner. Ce travail associait les données les plus récentes des neurosciences et des réalités épidémiologiques et cliniques. Le rapport de l'Académie de médecine manque de réalisme clinique et de modération. Il est difficile de traiter des substances psycho-actives sans se fonder sur un minimum d'expériences cliniques. Concernant le tabac, qui est une drogue extrêmement addictogène (dont le sevrage est particulièrement difficile malgré des outils thérapeutiques de plus en plus nombreux), il est vrai qu'il n'entraîne pas de troubles psychologiques, familiaux ou sociaux pendant son usage ou sa dépendance. Les signes psychiatriques apparaissent à l'arrêt du tabac ! Maintenir la problématique du tabac dans le champ de la MILDT, c'est accepter un élargissement de la définition des drogues, c'est accepter qu'une drogue puisse être considérée comme dangereuse, même quand elle est légalisée et présentée sous un jour convivial.
LES EFFETS DU CANNABIS
Sativa : Pensez-vous que les nouvelles variétés d'herbes, à forte teneur en THC, devraient être considérées comme drogues dures ? D'ou l'importance d'une campagne d'information !
William Lowenstein : Il devrait être possible, malgré l'interdit global, de préciser en effet qu'il existe du THC "light" et du THC fortement dosé comportant des risques d'ivresse brutale et très anxyogène afin que quelqu'un ne boive pas une demi-bouteille de vodka en pensant que c'est du cidre. C'est toute la difficulté de faire de la prévention ou de la réduction des risques quand la répression n'en donne pas la possibilité.
Berny : Pour la clarté du débat, pouvez-vous préciser ce que signifie THC ? Merci.
William Lowenstein : Le THC est le sigle de Tétra Hydro Cannabinol qui résume les principaux composants psycho-actifs du cannabis, notamment le Delta 9 THC. C'est un peu comme la nicotine pour le tabac.
Berny : Pourquoi le cannabis est-il si cher ? Est-ce dû à sa rareté ? A sa technique de fabrication ? Au fait qu'il est difficile (car illégal) à acheminer jusqu'au consommateur ?
William Lowenstein : C'est surtout le troisième point qui majore le prix du produit. Que ce soit pour l'héroïne, la cocaïne ou le cannabis, une majoration du prix d'environ 60 % à 70 % "couvre" le risque du trafic et du trafiquant d'après la plupart des études économiques. Voir, pour cela entre autres, les travaux de Kopp et le très passionnant Dictionnaire géopolitique des drogues de Labrousse & Co.
Fredo : A votre avis, combien y a-t-il de cannabiculteurs en France ?
William Lowenstein : De plus en plus. C'est tout le problème de la répression que de devoir travailler avec une population au moins partiellement cachée et de ne pas pouvoir donner de réponses épidémiologiques sûres. En ce qui concerne le trafic, par exemple, il est estimé que les saisies de cannabis annuelles par tonne représentent entre 2 % et 4 % du trafic total. Ce pourcentage peut-il être adapté aux cultures illicites ?
Luc : De plus en plus d'études dites "scientifiques" apparaissent dans les journaux et les magazines. D'après vous, quel crédit peut-on apporter aux conclusions de Patrick Mura sur l'usage du cannabis au volant ? Si le danger existe, est-il aussi grand que celui que révèle l'étude de Mura ?
William Lowenstein : Les travaux actuels tentant d'estimer la dangerosité du cannabis au volant sont aussi louables que difficiles à mener. Louables parce que pendant des années, le fait d'avoir globalement interdit le cannabis n'a pas permis de faire de prévention spécifique pour l'utilisation de ce produit au volant. Et que tout doit être fait pour responsabiliser les conducteurs et diminuer cette tuerie insupportable. Difficiles car l'analyse de causalité (c'est-à-dire la responsabilité du cannabis dans l'accident) va bien au-delà des statistiques de corrélation (c'est-à-dire la mise en évidence du cannabis chez un accidenté). Notamment, il manque dans beaucoup d'études des paramètres aussi fondamentaux que de savoir si le conducteur responsable n'avait pas dormi depuis deux ou trois jours, si le conducteur se prend pour Schumacher et a un comportement agressif dès qu'il touche son volant, s'il venait de décrocher son téléphone portable et même, dans certaines études, s'il avait bu. On peut cependant estimer que le cannabis est totalement à déconseiller au volant en terme de vigilance et de risque d'endormissement.
Blindman : Combien de temps le THC reste-t-il présent dans le sang ?
William Lowenstein : Quelques heures. Après le problème est de savoir quelle méthode utiliser et quelle est la sensibilité de cette méthode. Le cannabis, par contre, peut être retrouvé jusqu'à six semaines après son usage, dans les urines. Pour plus d'informations, vous pouvez vous connecter sur le site de la MILDT (http://www.drogues.gouv.fr).
Aeris : La nocivité est-elle la même pour l'herbe et le shit ?
William Lowenstein : Ce qui semble faire la nocivité supérieure du shit sur l'herbe est, d'une part, les produits de coupage associés au shit (du henné à la pelouse du Parc des Princes...) et, d'autre part, le fait d'associer le plus souvent beaucoup plus de tabac avec le shit qu'avec l'herbe.
System : Ne pensez-vous pas que le cannabis est potentiellement dangereux pour les jeunes qui n'ont pas encore de réel caractère et pour les personnes dépressives mais qu'il est relativement inoffensif pour des personnes équilibrées et gérant leur consommation ?
Lobjo : Pouvez-vous préciser les types de vulnérabilité psychologiques qui sont facteurs de contre-indication à la consommation de cannabis et les moyens existants pour les dépister ?
William Lowenstein : La question-proposition de System serait recevable si les caractères et comportements pouvaient être étiquetés et connus si facilement avant toute consommation. L'équilibre personnel n'est pas une garantie à vie... De façon caricaturale, toutes les personnes ayant : - des tendances à être mal quand elles ne contrôlent pas leurs pensées, quand elles ne maîtrisent pas le déroulement de leur quotidien ou de leurs attitudes, quand elles s'estiment psychorigides ou obsessionnelles doivent éviter ce produit qui risque d'être très déstabilisant et anxyogène pour elles ; - des pensées plutôt dissociées, très fluctuantes, avec déjà des difficultés de synthèse et de concentration, verront ces troubles augmenter avec ces produits. - Enfin, celles qui ont tendance à tout interpréter et à être un peu paranos ne gagneront pas, loin de là, en tranquillité, si elles fument du cannabis.
a noter que l'emission "Riposte" sera rediffusée le 8 mai, l'émission sera elle disponible en ligne dés mardi 8 sur le site de france5.
Chloro.