Cannabis : l’autoculture fait florès

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Cannabis : l’autoculture fait florès

Messagepar jack1 » 09 Oct 2020, 12:36

Source: https://www.liberation.fr/france/2020/1 ... es_1801605

PLANTATIONS
Cannabis : l'autoculture fait florès
Par Charles Delouche — 6 octobre 2020 à 20:31


Plant de cannabis à la fenêtre d'un appartement strasbourgeois. Photo
Pascal Bastien pour Libération

En quête d'une plus grande autonomie pour éviter le marché parallèle et
encouragés par un accès facilité au matériel de production, de plus en
plus de consommateurs d'herbe décident de la cultiver eux-mêmes. Le
confinement n'a fait qu'accélérer la tendance.

Certains se sont mis à cuisiner. D'autres à faire du sport par réseaux
sociaux interposés. Quelques-uns ont commencé la méditation, le crochet,
ou à boire de l'alcool quotidiennement… Positifs ou négatifs, les effets
collatéraux du confinement sur les modes de vie sont pléthoriques, avec
notamment un afflux de novices vers des pratiques qu'ils se contentaient
jusque-là de fantasmer. Parmi elles, le jardinage arrive en bonne
position. Les plus chanceux, propriétaires d'un jardin ou d'une petite
parcelle de terre, se sont projetés en Nicolas le Jardinier. Mais les
semis de tomates, courgettes et herbes de Provence ont aussi gagné les
balcons. Tout comme les pieds de cannabis.

Pour Adrien, c'était presque un hasard. Quelques graines jetées il y a
plus d'un an dans des vieux pots qui traînaient chez lui. Sans réel
espoir. Or, en avril, au cœur du confinement, surprise : les graines ont
finalement germé sur son bord de fenêtre parisien. «Je pensais que
c'était une mauvaise herbe qui poussait, mais quand j'ai vu la forme de
la feuille se dessiner au fil des jours, il n'y avait plus de doute
possible, explique le trentenaire. C'était bien un pied de cannabis.»
Quelques mois plus tard, la plante, bichonnée au quotidien, fait 1,50
mètre de haut et est en pleine floraison. «Je ne pouvais plus la laisser
dehors, ça devenait problématique par rapport à mes voisins. C'est une
plante facilement identifiable, et surtout, interdite.» Alors que
l'automne avance, l'ingénieur du son s'apprête à faire sa première
récolte : «J'ai essayé de me renseigner sur Internet, mais je vais
surtout demander un coup de main à des amis connaisseurs.»

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Selon Jean-Pierre Couteron, psychiatre et ancien président de la
Fédération addiction, il n'y a pas de doute : le confinement en a
convaincu plus d'un de planter la graine. Les difficultés pour se
déplacer sur les lieux de deal en raison des restrictions de
déplacement, l'augmentation des quantités requises pour se faire livrer
et, surtout, le temps confiné à la maison peuvent expliquer le choix de
se tourner vers l'autoculture. Mais l'émergence du mouvement est bien
plus ancienne. Jean-Pierre Couteron la situe «à l'aube des années 2000»,
moment «charnière» dans l'attrait pour cette pratique : «C'était le
début de l'écologisme, avec une volonté de ne pas fumer de la "merde",
ou encore le souhait de ne pas donner d'argent aux trafiquants. Certains
ont commencé à produire dans leur armoire, d'autres dans leur jardin.»

«Main verte»

La pandémie a été pour beaucoup l'occasion de chercher conseil auprès
des connaisseurs. Franck, 43 ans, père de famille habitant dans le
Sud-Ouest, a été maintes fois sollicité par des proches. «Des amis qui
étaient jusqu'alors réticents ont franchi le pas. Se fournir au marché
noir représente un budget beaucoup plus conséquent. Là, il suffit de
s'équiper pour environ 300 euros, de fabriquer un petit placard et de
quoi assurer sa consommation personnelle», explique l'homme, qui cultive
depuis vingt-trois ans. Pendant le confinement, Franck dit en avoir
dépanné quelques-uns en leur donnant des boutures : «Certains ont eu la
main verte, d'autres non. Ça demande du temps. Beaucoup abandonnent en
cours de route.»

Des kits comprenant les fertilisants et additifs nécessaires pour la
culture du cannabis sont facilement disponibles à l'achat sur Internet
pour moins de 60 euros, tandis qu'il est possible de s'offrir une
armoire de culture d'intérieur pour moins de 100 euros en trois clics.
Installé dans un petit village du sud de la France, Flo, 37 ans,
conseiller en immobilier, s'est mis à faire pousser pour la première
fois il y a deux ans. Il a attendu d'être propriétaire pour installer sa
petite culture dans son sous-sol. «Des amis banquiers ou intermittents
du spectacle… J'ai aidé pas mal de proches qui voulaient s'y mettre.
J'ai même donné des petits cours d'horticulture sur Zoom à des copains
installés au Liban, en pleine crise institutionnelle, pour installer
leur culture dans un placard.»

Pour certains, la consommation de cannabis est une «béquille» nécessaire
plus qu'une détente enfumée. «Les usagers réguliers de cannabis sont,
selon moi, des consommateurs à des fins médicales, explique Flo. Fumer
un joint de temps en temps peut empêcher de sombrer dans l'alcool ou les
cachets.» Pour Valérie, 54 ans et positive au VIH, l'autoculture de
cannabis permet depuis cinq ans d'adapter sa consommation à ses
douleurs. «Après avoir pris des traitements forts comme du tramadol et
autres opioïdes, le cannabis aide à calmer mes neuropathies et les
douleurs liées aux trithérapies», explique-t-elle. Passionnée de
jardinage, elle consomme la plante en la vaporisant, et ne la mélange
plus à du tabac. Elle fait également pousser dans son potager de Corrèze
du cannabidiol (CBD), molécule de la plante relaxante sans effet
psychotrope. «Les traitements antirétroviraux sont forts en effets
secondaires et entraînent des insomnies, observe Valérie. Le soir, je
m'autorise une vaporisation de plante avec un taux de
tétrahydrocannabinol [THC, aux propriétés psychoactives, ndlr] plus
élevé pour m'aider à dormir.»

Victime d'un grave accident de la route en 2014, plongé trois mois dans
le coma et lesté de lourdes séquelles, Julien, 29 ans, dit avoir réussi
avec le cannabis à arrêter du jour au lendemain somnifères,
antidépresseurs et autres «traitements poisons» : «Avant l'accident, je
consommais du cannabis de manière récréative. Depuis, je fais pousser
dans mon jardin. Je ne revends rien. La plante est devenue mon médicament.»

Depuis le début des années 2010, les quantités d'herbe saisies en France
ne cessent de grimper : moins de 4 tonnes avant 2010, elles atteignent
aujourd'hui des niveaux sans précédent, avec près de 30 tonnes en 2019.
En parallèle, les quantités interceptées de haschich, substance issue de
l'extraction de la résine des fleurs de cannabis, reculent. Tout au long
des années 2000, les barrettes ou pains de «shit» représentaient plus de
90 % des saisies. En 2018, cette part n'avoisine plus que 74 %. L'herbe
a plus que jamais le vent en poupe.

Le 23 juin dernier, une importante opération de gendarmerie s'est
déroulée dans la Marne et l'Aube. Près de 950 pieds ont été saisis. Une
centaine de cultivateurs sont poursuivis par la justice. Cette affaire
mêle autoproducteurs, revendeurs et «growshops», ces boutiques
spécialisées dans la culture hors sol ou en terre qui ont pignon sur
rue. Lampes, outils, engrais, chambre de culture, ces enseignes
proposent la panoplie complète du petit cultivateur, sans jamais
mentionner dans leur vitrine le terme «cannabis». Pour Matthieu
Bourrette, procureur de la République de Reims, «cette autoculture se
développe, avec en parallèle un usage biaisé du matériel agricole qui a
davantage vocation à faire pousser des tomates que du cannabis. En plus
des problèmes d'approvisionnement, la difficulté de pouvoir sortir de
chez soi en raison des mesures prises pendant le confinement a poussé
des consommateurs à se tourner vers ce type de production». Et de
préciser : «Pour pouvoir assurer leur autoproduction, les gens sont
prêts à dépenser des sommes relativement importantes en achat de
matériel ou en fourniture de consommables, avec notamment une
consommation électrique assez coûteuse sur le long terme.»

Cet été, Reims a connu des violences qui seraient liées à l'arrestation
d'un trafiquant présumé de stupéfiants. En réaction, le maire LR de la
ville, Arnaud Robinet, pharmacologue de profession, s'est déclaré
favorable à l'expérimentation de la légalisation du cannabis dans sa
ville, dans une lettre adressée le 13 septembre au Premier ministre,
Jean Castex. «La politique répressive montre ses limites. Il faut sortir
de l'hypocrisie. Cela permettrait à l'Etat d'avoir des ressources
supplémentaires qui pourraient être redéployées dans la prévention ou
dans la lutte contre les trafics», détaille-t-il.

Saints de glace

Comme lui, certains maires de droite, comme Gil Avérous à Châteauroux
(Indre) et Boris Ravignon à Charleville-Mézières (Ardennes), se sont
déclarés favorables à la légalisation du cannabis. Mais pour le maire de
Reims, qui rappelle que le Canada autorise la culture de deux pieds par
personne, pas sûr que l'autoproduction soit la solution : «Je n'y suis
pas forcément favorable. Il serait mieux d'avoir un contrôle de la vente
et de la production, principalement pour des raisons sanitaires et pour
pouvoir vérifier le taux de THC dans les produits vendus.»

En attendant que l'idée d'un monopole d'Etat autour de la plante fasse
son chemin chez les politiques, les cultivateurs de l'ombre
s'organisent. Thibault, 30 ans, est responsable commercial dans les
Hauts-de-France. Il cultive la plante «en guérilla» : au printemps, à la
fin des saints de glace, il va dans «la pampa» et repère un champ avec
une bonne exposition solaire. «J'identifie sur Google Maps une zone à
faible passage et, un soir, je vais y planter les pieds de cannabis
lorsqu'ils sont encore jeunes. J'y retourne régulièrement pour les
arroser.» A l'approche de l'automne, il ne va pas tarder à vivre sa
«nuit du flip» : «Je débarque dans la parcelle, sécateur en main, je
coupe tout à l'arrache, je fourre les 2 kilos de matière fraîche dans le
coffre et je rentre chez moi en espérant ne croiser personne.» L'an
dernier, sa petite dizaine de plants lui a permis de récolter 400
grammes d'herbe sèche. De quoi tenir une année et un «éventuel
confinement à venir».
Charles Delouche
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