Source: https://www.liberation.fr/france/2019/1 ... ue_1758002
Par Charles Delouche
Drogues : L630 ouvre sa «clinique juridique»
Alors que la France s’apprête à lancer l’expérimentation du cannabis thérapeutique et qu’une mission d'information doit débuter prochainement à l’Assemblée nationale, une association d’avocats spécialisés dans le droit des drogues propose une aide juridique aux personnes poursuivies.
Repenser la politique des drogues pour mieux sortir de la prohibition et éviter les injustices. C’est le credo de l’organisation L630, structurée en juillet dernier et inaugurée ce mercredi à Paris. Principalement composée de juristes et avocats spécialistes du droit des drogues, l’association souhaite apporter une défense renforcée aux personnes poursuivies via la création d’une «clinique juridique», et veut promouvoir une réforme des politiques publiques dans le pays. «L’une des missions premières est de défendre des situations où l’injustice est trop grande. Lorsque les cas sont désespérés ou contraires au droit. On prendra le modèle du site "servicepublics.fr" et on l’appliquera aux usagers de drogues, pour qu’ils sachent comment avoir accès à une aide juridique, explique Bechir Saket Bouderbala, consultant en politiques publiques de santé et membre fondateur de L630. Notre action va d’une personne qui s’est fait retirer son permis pour consommation de cannabis, à des chanvriers mis en cause. On est là pour apporter du droit et une oreille attentive en donnant le maximum d’informations, ce qu’un avocat en aide juridictionnel n’a généralement pas le temps de faire.»
Impossibilité de communiquer
L’organisation, qui regroupe des membres d’Act Up, de Médecins du monde et de Norml, tire son nom d’un ancien article de loi du code de santé publique ayant la particularité de condamner l’incitation à la consommation de drogues. Pour Michel Sitbon, éditeur, historien et membre de l’équipe de L630, cette impossibilité de communiquer autour des drogues a appauvri la littérature spécialisée et la connaissance des citoyens : «Les lois sur les drogues sont d’une hypocrisie remarquable. De la part des éditeurs et en raison de cet article de loi, il y a eu une autocensure qui a fait que le pays est moins informé que ses voisins.» Hormis les sommets d’addictologie et de prévention, il n’existe pas en France d’événement spécifique au sujet des réformes publiques sur les drogues. L630 entend s’inspirer des conférences américaines proposées par la Drug Policy Alliance, une organisation basée à New York dont l’objectif principal est de mettre fin à la guerre contre la drogue.
Créateur de la discipline Droit de la drogue et récemment à l’initiative d’un fonds de dotation pour la légalisation du cannabis validé par la préfecture, Francis Caballero, avocat et professeur de droit pénal à l’université Paris-Nanterre, estime que le temps est venu pour la France de rattraper son retard : «La prohibition en France vit ses derniers jours. Le mouvement de légalisation du cannabis est mondial.» Depuis 1970, la politique des drogues en France a été réformée à raison d’une fois tous les neuf mois. «On ne fait que rajouter des couches et on se retrouve face à un espace juridique très complexe en matière de drogues.» Présent à l’inauguration de L630, le conseiller régional d’Ile-de-France EE-LV Julien Bayou estime qu'«on a une des politiques les plus répressives alors que nous sommes le plus grand marché de consommation d’Europe. Dans un souci de mieux protéger les mineurs et pour mieux encadrer la consommation, nous sommes pour la légalisation du cannabis, y compris récréatif».
«Législation complexe»
Une affaire illustre bien le travail à réaliser pour l’organisation. Le 10 septembre dernier, trois chanvriers de l’Aveyron spécialisés dans les produits au cannabidiol (CBD), une molécule du cannabis aux effets non psychotropes, ont fait l’objet d’une retenue douanière. Leur boutique Chanvr’Bio Détente a été perquisitionnée, de même que le domicile des associés. Leur commande de chanvre pour infusion passée à un fournisseur du Luxembourg a été interceptée par la douane de Millau. La cargaison, aujourd’hui sous scellés, présentait un taux de THC (tétrahydrocannabinol, la molécule aux effets psychotrope du cannabis) légèrement supérieur aux 0,2% autorisés dans le pays (les niveaux mesurés allaient de 0,37 à 0,44%).
«La boutique nous a contactés au moment de la perquisition. On a apporté les éléments clefs que n’importe quel justiciable doit savoir, explique Bechir Saket Bouderbala. De l’autre côté, on a contacté un avocat pénaliste de la ville pour l’aider à comprendre la législation complexe autour du CBD.» Les trois chanvriers et la mère de l’un d’eux ont été placés en garde à vue pour une durée de quatre-vingts heures. «Pendant que les débats continuent, que des pays légalisent, qu’on monte des missions d’information autour du cannabis, on se retrouve face à des aberrations absolues, comme la garde à vue d’une dame de 80 ans, s’indigne l’historien Michel Sitbon. Il faut rappeler à l’ordre le ministère de l’Intérieur et de la justice.»