"Drogues: le "tout répressif" alimente l'épidémie d'hépatite C"
source: le monde le 01/06/2013
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http://www.lemonde.fr/planete/article/2 ... gue&xtcr=1
Une prise de conscience en Europe et autres pays, le repressif ne fonctionne pas, nous le savons tous. En esperant que ......
Réunis au sein de la Commission globale de politique en matière de drogues, l'ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, sept ex-chefs d'Etat, plusieurs anciens ministres et des intellectuels ont lancé, jeudi 30 mai, un appel pour remettre en cause le choix du "tout répressif" en matière de drogues qui aboutit à un désastre sanitaire : 10 des 16 millions de personnes qui s'injectent des drogues dans le monde ont contracté le virus de l'hépatite C. L'idée d'une stratégie de réduction des risques liés à l'injection de drogues, sera au centre d'une conférence internationale à Vilnius (Lituanie) du 10 au 13 juin.
Constituée à l'initiative de l'ancien président brésilien Fernando Henrique Cardoso, qui la préside, la commission a présenté son troisième rapport annuel. Le premier pointait l'échec des politiques répressives en matière de drogues au regard de leurs conséquences sociales, sanitaires et économiques. Le deuxième montrait comment elles alimentaient la pandémie due au VIH : en dehors de l'Afrique subsaharienne, les contaminations chez les consommateurs de drogues par injection représentent un tiers des infections. Cette fois, les membres de la commission se sont centrés sur le retentissement de ces politiques sur l'épidémie d'hépatite C, une maladie qui se transmet par contact sanguin.
UN PROBLÈME DE SANTÉ PUBLIQUE
"L'hépatite C est une épidémie silencieuse qui, malgré son ampleur reste largement inconnue du public et des gouvernements. Elle touche plus de 60 % des usagers de drogues injectables car le virus de l'hépatite C (VHC) est beaucoup plus infectant que le VIH. Or, là où prédominent les politiques répressives, ces usagers ne viennent pas dans les structures de soins. Ils se cachent et vivent dans des conditions qui vont favoriser le partage de seringues et l'absence de précautions", décrit Michel Kazatchkine, membre de la commission et envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies sur le VIH/sida en Europe orientale et Asie centrale.
Les membres de la commission ne demandent pas la légalisation des drogues, mais réclament la décriminalisation de la simple possession. Autrement dit, il s'agit d'aborder ce problème comme une question de santé publique. "Les politiques répressives nourrissent la violence, que ce soit dans les quartiers Nord de Marseille ou, à grande échelle, au Mexique. Dans beaucoup de pays, l'emprisonnement pour des délits mineurs, comme la détention de drogue à usage personnel accentue la marginalisation", s'inquiète Michel Kazatchkine.
RÉDUCTION DES RISQUES
Réduire les risques de transmission d'agents infectieux passe par la fourniture de seringues et d'aiguilles stériles. En 1987, le décret pris par Michèle Barzach, ministre française de la santé, autorisant la vente libre des seringues en pharmacie a permis de faire chuter la fréquence de la propagation du VIH et autres virus en France. Cela nécessite aussi un accès à des centres d'injection sécurisés et à des traitements de substitution aux opiacés. Compte tenu des caractéristiques du VHC, hautement transmissible, une politique de réduction des risques n'a de chances d'empêcher de nouvelles contaminations que si elle est mise en œuvre très précocement. Un usager de drogue par voie injectable depuis plusieurs mois présente en effet un risque élevé d'avoir été contaminé.
"En Europe, des pays comme le Portugal, les Pays-Bas ou la Suisse ont opté pour la dépénalisation sans que cela entraîne une augmentation de la consommation de drogues, souligne Michel Kazatchkine. Au Portugal quand une personne est arrêtée en possession d'une petite quantité de drogue, elle se voit infliger une amende sans que cela entraîne la constitution d'un dossier judiciaire et on ne la conduit pas au poste de police mais auprès d'une commission multidisciplinaire qui lui propose une assistance." Longtemps réticente, l'Ukraine, où l'on recense 220 000 usagers de drogues injectables infectés par l'hépatite C, a changé son fusil d'épaule. Elle a inclus un très grand nombre de personnes dans des programmes de substitution aux opiacés par la méthadone et a adopté, il y a quelques semaines un plan de lutte contre les hépatites.
ACCÈS AUX TRAITEMENTS
La Chine, le Vietnam ont eux aussi changé de politique. Plusieurs anciens présidents qui avaient choisi l'option d'une politique avant tout répressive ont reconnu que cette décision avait été erronée. C'est le cas du mexicain Ernesto Zedillo ou du polonais Aleksander Kwasniewski, tous deux membres de la commission. "En revanche, rien ne bouge en Russie et le dialogue ne s'ouvre pas, constate Michel Kazatchkine. Dans ce pays où les autorités se refusent à mettre en place une politique de réduction des risques, l'emprisonnement multiplie par 25, par rapport à la population générale, la probabilité de contracter une tuberculose, une co-infection fréquente du VIH et du VHC."
La réponse à l'épidémie d'hépatites C soulève, comme c'est le cas pour d'autres maladies, le problème de l'accès aux traitements. "Le coût annuel de ces traitements pour un malade se situe entre 4 000 et 6 000 dollars [3 000 à 4 600 euros]. Moins de 2 % des patients en bénéficient dans le monde. De nouvelles molécules par voie orale, donnant un taux de guérison de 70 %, devraient arriver d'ici un an et demi. Le risque existe qu'elles soient réservées aux seuls pays riches", s'inquiète Michel Kazatchkine. Les pays les plus touchés sont la Chine, qui compterait 1,6 million de personnes touchées par l'hépatite C, la Russie (1,3 million) et les Etats-Unis (1,5 million d'individus séropositifs pour le VHC).
Paul Benkimoun