(De Maastricht) Les Pays-Bas, référence mondiale de tolérance à l’égard du cannabis, se sont transformés en trois mois à peine en laboratoire de ce qu’il ne faut pas faire en matière de politique de drogue : prohiber brutalement. Le basculement d’une vente limitée et contrôlée vers une vente sauvage, illégale, échappant à tout contrôle, est spectaculaire à Maastricht.
Depuis l’introduction du « wietpas » (passeport herbe) dans le sud des Pays-Bas, qui restreint la vente de cannabis aux résidents hollandais dûment enregistrés, le commerce de l’herbe s’est déplacé, à Maastricht, des coffee shops vers la rue à une vitesse sidérante. Il suffit d’arpenter le quartier des quais pour se faire aborder tous les 20 m par des vendeurs étonnamment peu discrets.
Axel est l’un de ces innombrables petits vendeurs qui profitent de cette prohibition nouveau genre. La trentaine, portant chemise et pantalon au pli impeccable, il fait l’effet d’un vendeur d’auto, mais il a choisi le commerce du cannabis, où d’intéressants débouchés s’offrent à lui dans le coin.
On estime à 2,5 à 3 millions le nombre des clients annuels des coffee shops maastrichtois avant l’instauration de la wietpas, dont la moitié venaient de l’étranger. D’après le cabinet du maire, seulement… 1 500 wietpas ont été distribués à Maastricht depuis le 1er mai. Car même les Hollandais ont déserté les coffee shops, par réticence de se faire enregistrer afin d’obtenir leur wietpas.
Forcément, ça fait beaucoup de frustrés. Et donc un marché à prendre. Axel démarche les passants en rue, puis les emmène dans le parking de la plus grande galerie commerciale de Maastricht, Mosae Forum, où il vend directement dans sa petite auto au vu et au su de tout le monde.
L’amateurisme d’Axel est plutôt atypique dans le business à Maastricht. Sur les quais, les vendeurs opèrent par bande de deux ou trois, avec une division du travail plus élaborée et plus visible encore.
Mais que fait la police ?
Une enquête de la Fondation Epicurus sur les conséquences de la wietpas, menée avec l’université de Tilburg, a conclu à une capacité policière insuffisante pour faire face au problème. D’après les chiffres officiels, la police ne chôme pas.
Vingt-quatre policiers supplémentaires ont été affectés à la province de Luxembourg, la plus touchée, pour la lutte contre la vente illégale de cannabis. En deux mois d’existence de la wietpas, entre mai et début juillet, 386 arrestations avaient eu lieu. Une procédure rapide permet d’interdire de séjour les fautifs, mais cette interdiction est fortement limitée dans le temps et géographiquement.
Des amendes administratives sont infligées, mais devant leur inefficacité, la police renvoie de plus en plus volontiers les personnes appréhendées vers la justice, qui peut prononcer des amendes plus lourdes. Cependant, les quantités saisies sur les personnes appréhendées sont tellement minimes, quelques grammes au maximum, qu’aucune peine réellement intimidante, comme la prison, ne peut être prononcée.
Le nombre de plaintes liées à la drogue rapportées par des citoyens a explosé, passant de 160 en moyenne par mois à plus de 600. Le sentiment d’insécurité a grimpé en flèche, comme en témoigne cette vendeuse dans une boutique du centre :
« Je suis garée sur un parking périphérique et quand je rejoins ma voiture le soir, seule et à pied, que je me fais accoster à chaque coin de rue, je ne suis pas rassurée. »
Devant sa boutique, elle a assisté à l’arrestation d’un jeune à scooter par une vingtaine de policiers : « Avant, on n’aurait jamais vu ça à Maastricht. »
Optimisme politique
Et le politique là-dedans ? Le gouvernement de droite au pouvoir depuis 2010 et démissionnaire depuis le mois d’avril projette d’étendre le wietpas à tous les Pays-Bas dès le 1er janvier 2013 : la loi est votée.
Des élections en septembre pourraient amener une autre coalition au pouvoir et remettre le dispositif en cause. Des voix réclament une évaluation urgente de l’introduction du wietpas dans les provinces du Sud, les Verts étant en pointe sur ce dossier. Au niveau local, le conseil municipal de Maastricht s’était opposé à la limitation géographique du wietpas, mais il était favorable à son principe.
Pour le porte-parole du maire Onno Hoes (libéral, comme le Premier ministre), le wietpas est même un succès :
« Il y a beaucoup moins de touristes de la drogue à Maastricht. Comme il n’y a plus de demande, les vendeurs vont finir par partir. »
Admirable optimisme ? Aveuglement coupable ? Tous les indicateurs, à commencer par la simple observation du terrain, contredisent le crédo d’Onno Hoes.
source http://www.rue89.com/2012/08/18/maastri ... aux-234688