Par Alexandra Guillet , le 04 avril 2011 à 20h54, mis à jour le 04 avril 2011 à 21:06
source : http://lci.tf1.fr/france/societe/2011-0 ... 59604.html
Interview - Dans un ouvrage à paraître mercredi, Stéphane Gatignon, maire de Sevran - plaque-tournante du trafic de cannabis en France-, et Serge Supersac, policier à la retraite, jugent la politique répressive actuelle inefficace et affirment que légaliser le cannabis mettrait un terme aux trafics.
TF1 News : Pourquoi prônez-vous la dépénalisation du cannabis ?
Stéphane Gatignon, maire (Europe Ecologie) de Sevran depuis dix ans : D'abord, on constate que malgré son interdiction, la consommation de cannabis n'a cessé d'augmenter au fil des ans, pour devenir une consommation de masse. D'après les chiffres officiels, 12 millions de personnes ont essayé de fumer du cannabis, sur un an il y a 3,9 millions consommateurs, dont 1,2 million qui fument régulièrement. Cela veut dire que l'on a un gros problème de santé publique. Un problème qui concerne toutes les classes sociales et tous les âges. On estime par exemple que 20% des accidents du travail sont liés à la consommation cannabis. Dépénaliser le cannabis permettrait de lancer de grandes campagnes de prévention comme cela est fait pour le tabac ou l'alcool. C'est ce qui a été fait au Portugal et la consommation a fini par diminuer.
Ensuite, concernant le trafic de cannabis, on est passés d'une vente de quartier à un régime beaucoup plus industriel et structuré. Nous vivons désormais dans une société où les repères existent de moins en moins, où l'école républicaine n'est plus du tout dans la phase d'ascension sociale, où il faut faire de l'argent vite et facilement, où c'est la réussite individuelle qui est prônée…. Cela se sent aussi sur le terrain.Il n'y a plus de hiérarchie dans les quartiers. Cette hiérarchie qui faisait que les petits respectaient les grands et que les choses se réglaient tranquillement, à l'amiable. Avant un "pas-de-porte" pour vendre du shit s'acheter 25 000 euros, désormais on l'obtient à coups d'arme à feu. C'est ce que l'on a encore vécu il n'y a pas 10 jours à Sevran.
TF1 News : Dans votre livre, vous expliquez que l'organisation du trafic de cannabis est de plus en plus mafieuse…
S.G. : Avant les petits dealers flambaient leur argent dans des grosses voitures, ce qui permettait d'ailleurs aux policiers de les attraper facilement. Aujourd'hui, ils sont organisés. Ils investissent dans l'immobilier, dans les sociétés de sécurité ou de ménage et les petits commerces. Cela veut dire que petit à petit ils rentrent dans l'économie. Derrière, ce sont des pans entiers de l'économie qui peuvent tomber sous leur coupe. Pour stopper cet engrenage, il faut sortir de la prohibition. La France est le pays d'Europe où la loi est la plus répressive et pourtant c'est le pays où l'on fume le plus. C'est bien que la répression ne marche pas.
TF1 News : Depuis plusieurs années, la police multiplie les interventions dans les quartiers pour faire tomber les réseaux, notamment à Sevran. Cela ne sert donc à rien ?
S.G. : La première opération de libération de hall a eu lieu ici, à Sevran, il y a quelques années. Depuis, le hall est à nouveau occupé. La police fait son boulot comme il faut. Mais à chaque fois qu'elle démantèle un réseau, un autre se créé. La police vide la mer à la petite cuillère. On est dans l'impasse avec cette politique-là.
TF1 News : Que proposez-vous de faire alors ?
S.G. : Non seulement il faut dépénaliser le cannabis pour permettre de faire de la prévention, comme je l'ai déjà dit. Mais il faut même le légaliser et mettre en place une structure économique pour en vendre. Je suis sûre que pas mal d'agriculteurs au RSA, notamment dans le sud de la France, seraient ravis de pouvoir arrondir leurs fins de mois avec cette production. Cela permettrait de neutraliser le trafic et dans nos villes et, au passage, d'en contrôler sa qualité. On pourrait aussi passer des conventions pour importer légalement des plans cultivés en Afrique du Nord par exemple. Par ailleurs, on estime aujourd'hui à 100 000 le nombre de petits dealers qui gagnent entre 900 et 1500 euros par mois. Mais à ce tarif-là, ils n'ont pas de sécurité sociale ni de retraite derrière. Il faudrait créer autant d'emplois pour les pousser à faire autre chose, leur donner des perspectives.
TF1 News : Dans le contexte actuel, cela paraît totalement irréaliste ?
S.G. : On me répond souvent qu'on risque de les déstabiliser. Mais si on laisse ces structurations mafieuses prospérer dans nos villes, que va-t-il se passer demain ? Aujourd'hui on met plus de 650 millions d'euros dans la répression du trafic de cannabis en France. Ce n'est pas rien cette somme. Essayons de l'investir dans du travail pour ces jeunes.
