Appel du 18-Joint : 34 ans après, l'herbe n'est pas plus verte
Par Hugues Serraf | Chroniqueur | 19/06/2010 | 17H24
source : http://www.rue89.com/tribune-vaticinate ... rte-155502
Au final, les fumeurs de pétards de la Villette sont bien plus frondeurs que les bouffeurs de saucisson de la Goutte d'Or : lorsque les autorités promettent, aux uns comme aux autres, les pires sanctions s'ils s'avisent d'honorer leurs invitations Facebook respectives, seuls les premiers en prennent le risque…
C'est sans doute que, pour l'authentique amateur de cannabis, l'opportunité de se rouler dans l'herbe, fut-elle celle d'une bête pelouse, ne se refuse pas.
Et si le préfet avait bien rappelé, dans un courrier adressé aux organisateurs du 34e « appel du 18-Joint », que la législation sur l'usage des stupéfiants conserverait toute sa vigueur pendant la cérémonie, la menace n'a guère porté.
Des petits malins avaient amené du saucisson, mais rien de politique
Elle est pourtant bien sévère, la loi qui punit le fumeur de shit français : jusqu'à 3 750 euros d'amende et un an de prison. Mais bon, quand on aime on ne compte pas et ils étaient facilement des centaines, vendredi soir, à saturer l'atmosphère du grand parc du 19e arrondissement de leurs volute illicites.
Certains petits malins avaient même apporté du saucisson mais cette charcuterie-là était « totalement apolitique », assuraient-ils.
De toute manière, braver les interdictions, c'est l'ordinaire de Jean-Pierre Galland. Et si le leader historique de ce mouvement pour la dépénalisation du cannabis qu'est le Collectif d'information et de recherche cannabique (CIRC) avait prudemment fait circuler un tract précisant qu'il était strictement interdit de fumer autre chose que des cigarettes à la Villette, il n'en est pas, lui-même, à sa première garde-à-vue.
« Je ne suis jamais allé en prison », précise toutefois cet infatigable militant aux faux airs de Daniel Bensaïd, gourou récemment décédé de la LCR :
« J'ai juste été condamné à du sursis et à pas mal d'amendes. Mais c'est la rançon d'une lutte contre une prohibition absurde et essentiellement fondée sur cette spécificité idéologique française qui fait que la gauche comme la droite sont également prohibitionnistes.
Il y a bien des gens comme Daniel Vaillant, ancien ministre de l'Intérieur socialiste et maire d'un arrondissement (le XVIIIe) où les problèmes liés à l'interdiction du cannabis sont immenses, pour faire avancer le débat, mais il y en a aussi d'autres comme Manuel Valls pour le stopper. En tant que maire d'Evry, il est pourtant très conscient des enjeux sanitaires ou sociaux de cette question. »
Kouchner est-il toujours favorable à la dépénalisation ?
Plus de trois décennies après le premier appel à la dépénalisation lancé par Libération et une tripotée de personnalités des arts et de la politique, dont l'actuel ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, Galland admet pourtant en être toujours au même point :
« Ça n'avance pas, alors que le reste du monde bouge. A ce stade, nous serions déjà heureux si nous pouvions obtenir une simple dépénalisation d'usage pour moins de 15 grammes comme en république Tchèque. Mais nous en sommes loin.
Nous considérons aussi que plus personne ne devrait être mis en prison pour avoir fumé du cannabis, voire consommé une ligne de coke puisque nous sommes favorables à la dépénalisation de toutes les drogues. »
« Il faudra bien que ça bouge »
C'est d'ailleurs l'un des aspects les plus intéressants du combat du Circ et de Galland, cette question « des libertés individuelles au-delà de celle du cannabis proprement-dit ». Une posture qu'appuie vigoureusement David Poryngier, président du Mouvement des libéraux de gauche, pour lequel « en réprimant les usagers de drogues au prétexte qu'ils mettent leur santé en péril, l'État s'arroge un pouvoir que la Constitution et la Déclaration des Droits de l'Homme lui refusent, la propriété de son corps étant la première des libertés ».
Enfin, Galland promeut « l'auto-production », meilleur moyen d'éliminer les filières criminelles et, même, d'améliorer la qualité des produits consommés :
« Les politiques ont beau être frileux et incapables de dépasser leur opposition hypocrite à la dépénalisation, les Français qui mènent une vie normale mais qui fument sont désormais tellement nombreux qu'il faudra bien que ça bouge.
Il suffit de regarder tous ces gens sur la pelouse pour s'en rendre compte. »
Mais Bertrand Lebeau, un médecin « addictologue » réputé pour son travail auprès de Médecins du Monde, n'a pas vraiment le temps d'attendre :
« Prendre du cannabis pour des raisons récréatives, c'est une chose, mais je suis surtout préoccupé par le retard de la France dans le domaine thérapeutique.
Je m'occupe d'ailleurs d'une nouvelle organisation, le Comité d'études sur le cannabis thérapeutique (CECT) dont le travail est de militer pour l'information des médecins français sur ce qui se passe à l'étranger, notamment en Californie, pour aider les personnes atteintes de scléroses en plaques et de certains cancers, pas à guérir bien sûr, mais à vivre mieux. Ce qui est attesté scientifiquement. »
Marinol : du THC thérapeutique diffusé au compte-goutte
Pour cet homme volubile et passionné, « trop de gens pensent que demander que l'on évolue là-dessus, c'est être le faux-nez d'une demande plus large de dépénalisation » :
« Mais ça n'est pas le problème, quel que soit le point de vue qu'on se fait du cannabis récréatif. Ce qui est d'ailleurs totalement fou, c'est qu'il possible, dans quelques dizaines de cas à peine, de se faire délivrer du THC sous forme de gélule à 2,5 mg par l'Afssaps dans le cadre de ce que l'on appelle les “autorisations temporaires d'utilisation”.
Il existe donc un produit thérapeutique cannabique, le Marinol, qui est déjà légal d'une certaine façon, mais dont les médecins ne savent rien, même à l'hôpital ! C'est d'ailleurs ce qui permet à l'Afssaps de prétendre qu'il n'y pas de demande… »
En tout cas, s'il en est un qui lutte pour que l'information circule, c'est bien Michel Sitbon, le Gallimard de l'édition cannabique, dont les divers labels (Le Lézard, Dagorno, L'Esprit frappeur…) diffusent la bonne parole depuis des années :
« Mais c'est de plus en plus difficile, maintenant que la pression se fait sur les libraires, y compris les mastodontes comme la Fnac, pour que nos livres soient le plus discrets possibles. »
« Mes livres sont diffusés et je n'ai eu qu'une seule amende »
« En fait, c'est une situation assez étrange », analyse-t-il en observant la foule autour de lui :
« Ce que nous publions peut tomber sous le coup de la loi, mais nos livres sont tout de même diffusés et je n'ai jamais eu qu'une amende de 3 000 euros dans toute ma carrière. Tout comme il est interdit de fumer, mais la police ne débarque pas vraiment pour arrêter tous ces gens sur la pelouse.
Ce qu'il faut espérer, c'est tout de même que l'intimidation à laquelle sont soumis les gens qui veulent simplement s'exprimer politiquement ou scientifiquement puissent le faire sereinement puisqu'il s'agit d'une question fondamentale de libertés publiques, plus vaste que la question du cannabis. »
Un point du vue qu'approuvent d'ailleurs, dans un magnifique ensemble œcuménique, les militants du NPA, drapeau rouge en main et pétard au bec, et ceux du Mouvement des libéraux de gauche, venus boire les paroles du mythique éditeur. Eh oui, à la Villette, on ne fait pas que fumer.