Aborder autrement les drogues

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Aborder autrement les drogues

Messagepar daniel » 21 Jan 2013, 04:11

http://www.lautrecampagne.org/article.php?id=94


Anne Coppel, Peut-on civiliser les drogues ? De
la guerre à la drogue à la réduction des risques,
La découverte, 2002.
Max Milner, L'imaginaire des drogues. De Thomas
De Quincey à Henri Michaux, Gallimard, 2000
(« Connaissance de l'inconscient »).
Giulia Sissa, Le plaisir et le mal. Philosophie
de la drogue, Odile Jacob, 1997.


Aborder autrement les drogues
par Aude Lalande*


Qu'est-ce qu'une drogue, au sens strict ?
Moins un produit dangereux qu'un produit illégal.
Les politiques occidentales des drogues sont
construites sur l'interdit : d'un côté elles
s'efforcent de contrôler l'usage des substances
les mieux assimilées culturellement (alcool,
tabac) ; de l'autre elles interdisent, avec
violence et détermination, la consommation des
autres, jugées trop dangereuses. Mais c'est peu
dire que l'interdit ne marche pas : en Europe
aujourd'hui une personne sur cinq a goûté au
cannabis, et la cocaïne ne cesse de progresser.
Et qu'en cas d'échec il est contre-productif :
l'invisibilité des consommations illégales est
telle, actuellement, que leurs conséquences
médicales sont assez mal connues ; les problèmes
sociaux qu'elles soulèvent tiennent en grande
part à leur statut juridique : aux prix pratiqués
sur le marché noir, qui expliquent souvent les
actes de délinquance, ou aux sanctions
judiciaires auxquelles elles exposent. Près de
quarante ans après la promulgation de sa loi « de
lutte contre la toxicomanie » (1970), le système
français explose. Face à une majorité de
consommations légales, une minorité d'usagers vit
ses consommations dans des conditions
d'invisibilité totale (tant qu'elle y parvient)
ou de visibilité extrême (les plus pauvres
alimentant la toxicomanie de rue). Et entre les
deux le système craque : de produit minoritaire
le cannabis devient majoritaire (il concerne
47,6% des 18-25 ans) et engendre aujourd'hui plus
de poursuites policières que de problèmes de
santé.

Comment sortir de la réponse punitive, tout en
offrant des moyens de sécuriser les pratiques ?

Changer radicalement de système, autoriser et
organiser l'usage et la circulation de
psychotropes à usage récréatif, et non médical,
paraît aujourd'hui difficile ; des paliers sont
nécessaires. Confirmer et prolonger les brèches
ouvertes depuis vingt ans dans l'interdit est
possible en revanche. Modifier l'environnement
législatif de la consommation aussi.

Confirmer et prolonger l'existant

« Une société sans drogue, ça n'existe pas »
reconnaissait déjà il y a sept ans un livret
ministériel d'information [1]. Aucune drogue
n'est dangereuse par elle-même, pourrait-on
ajouter. Tout dépend de l'usage qu'on en fait :
des doses prises, de l'activité à laquelle on les
associe, de la fréquence à laquelle on consomme.
Mais leur utilisation présente des dangers :
comportementaux (agressivité mal contrôlée,
danger au volant), sociaux (attitudes mal
acceptées, appauvrissement lié à la
surconsommation), médicaux (accidents, maladies à
plus ou moins long terme), psychologiques
(délires, paranoïa, etc.), et celui de devenir
dépendant. Une politique des drogues réaliste et
pragmatique devrait se fixer pour enjeux, dans le
sillage et la confirmation des politiques de
« réduction des risques » et de soin mises en
place depuis vingt ans :
1. de construire des politiques de prévention
efficaces : qui sachent s'adapter à la diversité
des pratiques (distinguer le simple usage des
conduites d'abus ou de dépendance, les différents
types de produits et les façons de consommer
- par injection, sniff, voie orale) ; prendre en
compte les représentations des usagers ;
mobiliser les compétences (stimuler la
recherche ; former les médecins) ;
2. de sécuriser autant que possible les
pratiques : par la mise à disposition de
matériels stériles (kits d'injection ou de sniff,
pipes à crack) ; d'espaces de repos et de
prévention dans les lieux de fêtes (teknivals,
raves, clubs) ; de salles de consommation pour
les usagers qui vivent dans la rue ; la diffusion
de tests de composition des produits qui
permettent de limiter la circulation de produits
de nature incertaine ou frelatée (testing) ;
3. d'aider ceux qui le souhaitent à s'extraire de
la dépendance, avecdes ressources diversifiées et
renforcées : une offre de produits de
substitution élargie (y compris aux formes
injectables) ; des structures d'accueil plus
nombreuses (cures, postcures, dispositifs
d'hébergement).

Modifier l'environnement législatif de la consommation

Atteindre ces objectifs impose cependant de modifier le cadre législatif :
Parce qu'on ne peut espérer construire une
prévention efficace sans dépénaliser la parole :
en interdisant de présenter les drogues sous un
jour positif, la loi actuelle fait de la plus
haute raison de leur dangerosité, le plaisir
qu'elles procurent, le message de prévention le
moins énonçable. Si la publicité pour les drogues
doit être interdite, le plaisir qui en fait
l'expérience, et la complexité de sa gestion,
doivent pourtant pouvoir être entendus.
Parce qu'on ne peut espérer sécuriser les
pratiques sans dépénaliser la consommation :
outre que, pour des raisons éthiques, personne ne
devrait être emprisonné pour simple usage de
drogues [2], on ne peut avoir de clairvoyance sur
les pratiques, ni sur les moyens à mettre en
¦uvre pour les sécuriser, si leur illégalité
contraint à les cacher. Le recours à la punition
devrait se concentrer sur les dangers
comportementaux, qui mettent en jeu la sécurité
de tiers. Le reste relève de la prévention ou du
soin.
Pour limiter, enfin, les nuisances liées au
marché noir : réglementer et/ ou peser sur
l'offre, même à la marge, constitue le seul moyen
de limiter les violences liées au marché d'une
part, à la circulation de produits frelatés
d'autre part.
Le cannabis connaît aujourd'hui en France un tel
degré d'intégration que son usage pourrait sans
risque être réglementé selon le modèle
hollandais, qui combine dépénalisation de la
consommation et réglementation de la
distribution. Non seulement ce modèle a fait ses
preuves aux Pays-Bas, mais il dément le risque
d'une « épidémie » : le taux moyen de fumeurs de
cannabis y est plus bas qu'en France ou en
Grande-Bretagne.
Le testing des autres produits doit être
légalisé : interdit depuis avril 2005, l'usage de
cette technique a pourtant montré qu'elle pesait
tant sur la qualité des produits que sur le
niveau de connaissances et d'exigence des
usagers. Sa diffusion constituerait un
contrepoids au cynisme du marché : moins
désarmés, mieux informés, les consommateurs
pourraient peser sur l'offre.
Ces quelques mesures peuvent être mises en place
immédiatement. Voies de sortie d'une « guerre
totale à la drogue » qui a fait trop de dégâts,
elles doivent aussi constituer l'amorce d'un
processus plus large, qui puisse sortir les
drogues de l'interdit. Expérimenter des effets
psychotropes, pour le plaisir, pour l'expérience
ou pour trouver remède à ses maux, n'est ni un
vice, ni une maladie. Juste une constante de
l'histoire des hommes.
Aude Lalande*

* Membre du comité de rédaction de la revue
Vacarme, ancienne élue de l'association Act
Up-Paris, elle mène des recherches ethnologiques
sur les usages de drogues.

[1] Introduction du livret « Drogues, savoir
plus, risquer moins », Mission Interministérielle
de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie
(MILDT), 2000.
[2] En 2005 les incarcérations pour simple usage
avaient augmenté de 18,5% par rapport à l'année
précédente (Libération, 19 avril 2006)
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