Comment Yahoo a sacrifié un dissident chinois à ses intérêts
Posté: 17 Sep 2005, 09:00
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Comment Yahoo a sacrifié un dissident chinois à ses intérêts
Le site pionnier d'Internet a dû transmettre aux autorités de Pékin les informations qui ont permis d'emprisonner le journaliste Shi Tao.
Par Pierre HASKI
vendredi 16 septembre 2005 (Liberation - 06:00)
Pékin de notre correspondant
Les blogs éructent, les forums grondent : Yahoo est mis en accusation depuis que Reporters sans frontières (RSF) a révélé que le géant américain de l'Internet a remis à la justice chinoise des informations qui ont permis d'envoyer un journaliste chinois en prison pour dix ans. Jerry Yang, le cofondateur de Yahoo, a beau expliquer qu'il n'avait pas le choix et que sa société est contrainte d'obéir aux lois des pays dans lesquels elle opère, rien n'y fait. La réputation de Yahoo risque d'en être durablement entachée et son site est menacé de faire l'objet de campagnes de boycottage.
Tiananmen. Retour sur une affaire exemplaire : Shi Tao, un journaliste de 36 ans, employé du journal Dangdai Shang Bao (Contemporary Trade News) de Changsha, la capitale de la province du Hunan, adresse un e-mail, le 20 avril 2004, à un site Internet de langue chinoise hébergé à l'étranger. Il y révèle le contenu d'une note confidentielle reçue par son journal et concernant le climat politique à la veille du quinzième anniversaire du massacre de Tiananmen, le 4 juin. Le département de la propagande du Parti communiste chinois donnait ses consignes à la presse officielle face aux «risques pour la stabilité». Arrêté en novembre 2004, Shi Tao est condamné le 30 avril 2005 à dix ans de prison pour «divulgation de secrets d'Etat à l'étranger», une peine très lourde au regard des faits. Le déroulement du procès avait déjà été critiqué à l'étranger : à la veille de l'audience, l'avocat du journaliste, Guo Guoting, a été privé du droit d'exercer pendant un an et n'a donc pas assuré la défense...
L'affaire en serait restée là, c'est-à-dire sans faire trop de vagues, si RSF n'avait pas révélé que la preuve décisive du procès a été fournie par Yahoo. Le message envoyé par Shi Tao était anonyme, mais, à la demande de la justice chinoise, Yahoo a révélé l'identité du détenteur de l'adresse IP qui s'y rattache, en quelque sorte l'ADN du message électronique, et le numéro de téléphone utilisé pour l'expédier, celui des bureaux du journal.
Ethique. Yahoo complice du redoutable «big brother» chinois ? Pour Reporters sans frontières et d'autres défenseurs des droits de l'homme, le verdict est sans appel : Shi Tao a été privé de liberté parce que Yahoo a fourni ces informations au pouvoir chinois.
Lors d'une conférence sur l'Internet en Chine, le week-end dernier, Jerry Yang, le cofondateur de Yahoo, s'est défendu en déclarant que, «pour faire des affaires en Chine ou n'importe où dans le monde, nous devons respecter les lois locales. Nous ne voulons pas mettre la sécurité de nos employés en danger». Jerry Yang a souligné que Yahoo suivait la même politique partout, et répondait aux requêtes de la justice locale. «Nous recevons des tas de demandes chaque jour. Nous en recevons des centaines aux Etats-Unis, des centaines en Europe, et nous en recevons beaucoup en Chine. Nous ne savons pas pourquoi ils veulent ces informations. Ils ne nous disent pas ce qu'ils cherchent. Mais s'ils fournissent les bons documents et un ordre d'un tribunal, nous leur donnons les informations en conformité avec notre charte sur les données personnelles et les règles locales.»
Cette attitude est jugée dénuée d'éthique par les détracteurs de Yahoo. Mais elle pose assurément la question du prix à payer pour tous ceux qui investissent en Chine dans des secteurs sensibles à l'image de Yahoo qui vient de mettre un milliard de dollars (0,8 milliard d'euros) dans le site commercial chinois Alibaba.com et des autres géants du secteur qui sont attirés par un marché de cent millions d'internautes et en forte croissance. Cependant, la question éthique pourrait aussi toucher ceux qui font fabriquer des t-shirts ou des ordinateurs par des ouvriers privés de droits syndicaux et sous-payés, et tous ceux qui profitent d'un système resté autoritaire.
Filtrage. L'affaire Yahoo rappelle également à quel point le contrôle de l'Internet est une bataille constante et cruciale pour le pouvoir de Pékin. Des milliers de sites bloqués dont le blog chinois de Libération , une soixantaine d'internautes en prison pour délit d'opinion, des logiciels de filtrage et des «contrôleurs de contenu» pour censurer les débats sur les forums des grands sites, une cyberpolice dotée de grands moyens pour repérer et identifier les cyberdissidents...
Les internautes chinois savaient tout cela : ils viennent de découvrir, avec l'affaire Yahoo/Shi Tao, que les pionniers de l'Internet, qui avaient cru ouvrir de nouveaux espaces de liberté grâce à leur technologie révolutionnaire, pouvaient aussi devenir les complices de nouvelles prisons.
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Comment Yahoo a sacrifié un dissident chinois à ses intérêts
Le site pionnier d'Internet a dû transmettre aux autorités de Pékin les informations qui ont permis d'emprisonner le journaliste Shi Tao.
Par Pierre HASKI
vendredi 16 septembre 2005 (Liberation - 06:00)
Pékin de notre correspondant
Les blogs éructent, les forums grondent : Yahoo est mis en accusation depuis que Reporters sans frontières (RSF) a révélé que le géant américain de l'Internet a remis à la justice chinoise des informations qui ont permis d'envoyer un journaliste chinois en prison pour dix ans. Jerry Yang, le cofondateur de Yahoo, a beau expliquer qu'il n'avait pas le choix et que sa société est contrainte d'obéir aux lois des pays dans lesquels elle opère, rien n'y fait. La réputation de Yahoo risque d'en être durablement entachée et son site est menacé de faire l'objet de campagnes de boycottage.
Tiananmen. Retour sur une affaire exemplaire : Shi Tao, un journaliste de 36 ans, employé du journal Dangdai Shang Bao (Contemporary Trade News) de Changsha, la capitale de la province du Hunan, adresse un e-mail, le 20 avril 2004, à un site Internet de langue chinoise hébergé à l'étranger. Il y révèle le contenu d'une note confidentielle reçue par son journal et concernant le climat politique à la veille du quinzième anniversaire du massacre de Tiananmen, le 4 juin. Le département de la propagande du Parti communiste chinois donnait ses consignes à la presse officielle face aux «risques pour la stabilité». Arrêté en novembre 2004, Shi Tao est condamné le 30 avril 2005 à dix ans de prison pour «divulgation de secrets d'Etat à l'étranger», une peine très lourde au regard des faits. Le déroulement du procès avait déjà été critiqué à l'étranger : à la veille de l'audience, l'avocat du journaliste, Guo Guoting, a été privé du droit d'exercer pendant un an et n'a donc pas assuré la défense...
L'affaire en serait restée là, c'est-à-dire sans faire trop de vagues, si RSF n'avait pas révélé que la preuve décisive du procès a été fournie par Yahoo. Le message envoyé par Shi Tao était anonyme, mais, à la demande de la justice chinoise, Yahoo a révélé l'identité du détenteur de l'adresse IP qui s'y rattache, en quelque sorte l'ADN du message électronique, et le numéro de téléphone utilisé pour l'expédier, celui des bureaux du journal.
Ethique. Yahoo complice du redoutable «big brother» chinois ? Pour Reporters sans frontières et d'autres défenseurs des droits de l'homme, le verdict est sans appel : Shi Tao a été privé de liberté parce que Yahoo a fourni ces informations au pouvoir chinois.
Lors d'une conférence sur l'Internet en Chine, le week-end dernier, Jerry Yang, le cofondateur de Yahoo, s'est défendu en déclarant que, «pour faire des affaires en Chine ou n'importe où dans le monde, nous devons respecter les lois locales. Nous ne voulons pas mettre la sécurité de nos employés en danger». Jerry Yang a souligné que Yahoo suivait la même politique partout, et répondait aux requêtes de la justice locale. «Nous recevons des tas de demandes chaque jour. Nous en recevons des centaines aux Etats-Unis, des centaines en Europe, et nous en recevons beaucoup en Chine. Nous ne savons pas pourquoi ils veulent ces informations. Ils ne nous disent pas ce qu'ils cherchent. Mais s'ils fournissent les bons documents et un ordre d'un tribunal, nous leur donnons les informations en conformité avec notre charte sur les données personnelles et les règles locales.»
Cette attitude est jugée dénuée d'éthique par les détracteurs de Yahoo. Mais elle pose assurément la question du prix à payer pour tous ceux qui investissent en Chine dans des secteurs sensibles à l'image de Yahoo qui vient de mettre un milliard de dollars (0,8 milliard d'euros) dans le site commercial chinois Alibaba.com et des autres géants du secteur qui sont attirés par un marché de cent millions d'internautes et en forte croissance. Cependant, la question éthique pourrait aussi toucher ceux qui font fabriquer des t-shirts ou des ordinateurs par des ouvriers privés de droits syndicaux et sous-payés, et tous ceux qui profitent d'un système resté autoritaire.
Filtrage. L'affaire Yahoo rappelle également à quel point le contrôle de l'Internet est une bataille constante et cruciale pour le pouvoir de Pékin. Des milliers de sites bloqués dont le blog chinois de Libération , une soixantaine d'internautes en prison pour délit d'opinion, des logiciels de filtrage et des «contrôleurs de contenu» pour censurer les débats sur les forums des grands sites, une cyberpolice dotée de grands moyens pour repérer et identifier les cyberdissidents...
Les internautes chinois savaient tout cela : ils viennent de découvrir, avec l'affaire Yahoo/Shi Tao, que les pionniers de l'Internet, qui avaient cru ouvrir de nouveaux espaces de liberté grâce à leur technologie révolutionnaire, pouvaient aussi devenir les complices de nouvelles prisons.
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