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Posté: 21 Jan 2013, 03:52
article dispo sur http://www.humanite.presse.fr/journal/1 ... -03-298818
La santé ou les superprofits ? Histoire secrète.
Des molécules actives contre l’odème cérébral, la cirrhose du foie, le sevrage des toxicomanes, l’acné, la calvitie sont abandonnées, estimées pas assez rentables par le groupe pharmaceutique HMR.
Le prix de la nouvelle concentration pharmaceutique, la fusion HMR-Rhône Poulenc, frôle l’insoutenable. Jamais le divorce n’a été aussi flagrant entre la soif de profits et les besoins sociaux.
Pas assez rentables... 169 molécules en cours de développement et codées RU (Roussel UCLAF) vont être abandonnées ou bradées par le groupe HMR (Hoechst-Marion- Roussel) dans la perspective de sa fusion avec Rhône-Poulenc - Rorer, pour accoucher d’Aventis, un mastodonte de la pharmacie. Arrêts de recherches, suppressions d’emploi, fermetures de sites. C’est le prix de la course absurde au gigantisme, au mépris des missions de santé publique. Au mépris des malades et de leurs familles.
Abandonnée, la molécule RU 51599. Elle annonce la création de médicaments inédits pour lutter contre les odèmes cérébraux. Actuellement, on ne sait guère contrer l’odème qui se forme sous le crâne, à la suite d’une lésion, d’une tumeur ou d’une opération. L’issue s’avère souvent fatale. Le RU 51599 permet l’évacuation du liquide comprimant l’encéphale. Cette molécule semble également prometteuse pour résorber l’ascite qui gonfle le ventre des malades atteints de cirrhose du foie. Les études ont été stoppées en phase 2, l’avant dernière avant la commercialisation. Motif : les médicaments issus de cette molécule innovante ne seraient pas assez rentables, leur usage restant limité aux centres hospitaliers.
Abandonnée l’ingénieuse molécule RU 58841, un anti-androgène en pommade, qui ouvre la voie à de nouveaux traitements de la calvitie et de l’acné. HMR préfère renoncer aux années de recherches effectuées, plutôt que de finaliser le produit. Il met en avant d’éventuels effets secondaires. En réalité le groupe a décidé de liquider toutes ses activités en endocrinologie. Décision catastrophique. Le site de Romainville (ex-Roussel UCLAF) spécialisé dans ces recherches est reconnu dans le monde entier. Tout un savoir-faire, une capacité d’expertise en ce domaine, sont menacés de disparaître. Cette frénésie de fusions a déjà fait rétrograder la France du deuxième rang à la dixième place mondiale, pour la mise au point de molécules.
Abandonné également, un projet précurseur pour faciliter le sevrage des toxicomanes en s’attaquant aux phénomènes de dépendance. L’exploitation d’un hasard, au détour d’une autre recherche. À base hormonale, les traitements issus de cette découverte ne substitueraient pas une dépendance à une autre. Espoir inédit. Ce projet inaugure une nouvelle stratégie pour lutter contre les dépendances. Stoppé. HMR ne veut pas associer son sigle au traitement des toxicomanies. Pudibonderie anglo-saxonne oblige...
La même hypocrisie avait conduit Roussel UCLAF à brader, en 1996, la première molécule anti-hormone, le RU 486 (mifépristone), dite pilule abortive, sous la pression du Vatican et des groupes intégristes aux USA. À l’époque le président de Roussel UCLAF, le Dr Édouard Sakiz, n’avait pas accepté le diktat américain. Depuis, Il a claqué la porte et créé un petit laboratoire privé, Exelgyn, pour fabriquer cette pilule " propriété morale des femmes ". Un pied de nez au gigantisme.
HMR persévère dans la logique inverse. Déjà, l’Humanité avait révélé, le 12 juin 1996, l’abandon de la RU 58668, un anti-estrogène très prometteur dans le traitement des cancers du sein, issus de dérèglements hormonaux. Deux cent cinquante mille femmes affrontent, chaque année dans le monde, cette maladie hautement mortelle. Mais pour la direction, le RU 58668 n’était pas susceptible de générer suffisamment de profits. Jean-Pierre Godard, le président de Roussel UCLAF nous avait avoué à l’époque que la " question fondamentale " pour lui, c’était : " Où en est le besoin médical non satisfait, qui a un potentiel suffisamment attractif pour que je mette mon argent dessus ? " Pas attractif, le RU 58668 ? Il dispose pourtant de hautes potentialités pour faire régresser les tumeurs, mais aussi pour réduire les métastases.
Jamais le divorce n’avait été aussi flagrant entre les besoins de santé et la course aux profits. Désormais, la seule obsession des dirigeants d’HMR, c’est de satisfaire l’appétit des fonds de pension américains. Objectif avoué, un taux de profit de 20 % à 30 % annuel ! C’est d’autant plus scandaleux qu’en France, HMR réalise 80 % de son chiffre d’affaires avec la Sécurité sociale. Hier, les laboratoires étaient dirigés par des scientifiques et/ou des capitaines d’industrie. Voici venue l’ère des financiers, tenanciers de molécules. Pourtant, sur 40 000 maladies identifiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seules 15 000 bénéficient de traitements.
Écouré, un chercheur de HMR nous confie : " Arrêter une molécule n’a rien de scandaleux, si c’est sur des critères scientifiques, en cas de toxicité, par exemple. Mais actuellement, les recherches sont stoppées sur des critères économiques. HMR estime qu’un produit doit être abandonné s’il ne rapporte pas au minimum 2,4 milliards de francs. " Tous les hypergroupes pharmaceutiques adoptant la même logique, ils se ruent sur les productions les plus rentables, destinés aux pays riches. Un autre scientifique de HMR déplore cette concurrence désastreuse : " On vend des médicaments comme des aspirateurs. Les coûts de marketing deviennent dix fois plus élevés que ceux de la recherche. Il y a dix ans, si un produit n’était pas au " top ", il passait à la poubelle. On lance désormais un produit même s’il n’est pas tout à fait au point, même s’il y a déjà dix médicaments identiques sur le marché. Cela se résume à une guerre à coups de pub. Il y a une perte de l’éthique. Je ne comprends pas l’intérêt de ce gigantisme. Il existe des petits laboratoires qui vivent bien. " Avec d’autres chercheurs et salariés d’HMR, il réfléchit à une solution alternative à la vente programmée du site de Romainville .
Cette logique du tout profit mène à une catastrophe planétaire. Les pays pauvres sont livrés à eux mêmes. Le prix Nobel de la paix 1999, Médecins sans frontières dénonce cette dérive : sur plus de 1 200 médicaments nouveaux, commercialisés depuis 1975, onze seulement servent à soigner une maladie tropicale. Ainsi la maladie du sommeil, transmise par la mouche tsé-tsé. L’OMS estime à 55 millions les personnes exposées dans la seule Afrique de l’ouest ; 300 000 cas par an. Sans traitement, la mort est inéluctable. Il en existait un, très risqué. Le médicament contient de l’arsenic, un poison qui achève jusqu’à 5 % des personnes traitées. Les chercheurs ont mis au point un médicament non toxique, l’Eflornithine. HMR qui a récupéré le produit, l’a finalement estimé trop coûteux et l’a retiré du marché ! L’allemand Hoechst (le H de HMR) et Rhône-Poulenc ont annoncé qu’ils renonçaient à la recherche d’un vaccin contre le sida. Parce qu’il est plus rentable de soigner lorsque la maladie est déclarée ? Il y a des crimes qui mériteraient d’être inscrits dans le Code pénal.
SeMina Kaci et Serge Garde
Article paru dans l'édition du 3 novembre 1999.
La santé ou les superprofits ? Histoire secrète.
Des molécules actives contre l’odème cérébral, la cirrhose du foie, le sevrage des toxicomanes, l’acné, la calvitie sont abandonnées, estimées pas assez rentables par le groupe pharmaceutique HMR.
Le prix de la nouvelle concentration pharmaceutique, la fusion HMR-Rhône Poulenc, frôle l’insoutenable. Jamais le divorce n’a été aussi flagrant entre la soif de profits et les besoins sociaux.
Pas assez rentables... 169 molécules en cours de développement et codées RU (Roussel UCLAF) vont être abandonnées ou bradées par le groupe HMR (Hoechst-Marion- Roussel) dans la perspective de sa fusion avec Rhône-Poulenc - Rorer, pour accoucher d’Aventis, un mastodonte de la pharmacie. Arrêts de recherches, suppressions d’emploi, fermetures de sites. C’est le prix de la course absurde au gigantisme, au mépris des missions de santé publique. Au mépris des malades et de leurs familles.
Abandonnée, la molécule RU 51599. Elle annonce la création de médicaments inédits pour lutter contre les odèmes cérébraux. Actuellement, on ne sait guère contrer l’odème qui se forme sous le crâne, à la suite d’une lésion, d’une tumeur ou d’une opération. L’issue s’avère souvent fatale. Le RU 51599 permet l’évacuation du liquide comprimant l’encéphale. Cette molécule semble également prometteuse pour résorber l’ascite qui gonfle le ventre des malades atteints de cirrhose du foie. Les études ont été stoppées en phase 2, l’avant dernière avant la commercialisation. Motif : les médicaments issus de cette molécule innovante ne seraient pas assez rentables, leur usage restant limité aux centres hospitaliers.
Abandonnée l’ingénieuse molécule RU 58841, un anti-androgène en pommade, qui ouvre la voie à de nouveaux traitements de la calvitie et de l’acné. HMR préfère renoncer aux années de recherches effectuées, plutôt que de finaliser le produit. Il met en avant d’éventuels effets secondaires. En réalité le groupe a décidé de liquider toutes ses activités en endocrinologie. Décision catastrophique. Le site de Romainville (ex-Roussel UCLAF) spécialisé dans ces recherches est reconnu dans le monde entier. Tout un savoir-faire, une capacité d’expertise en ce domaine, sont menacés de disparaître. Cette frénésie de fusions a déjà fait rétrograder la France du deuxième rang à la dixième place mondiale, pour la mise au point de molécules.
Abandonné également, un projet précurseur pour faciliter le sevrage des toxicomanes en s’attaquant aux phénomènes de dépendance. L’exploitation d’un hasard, au détour d’une autre recherche. À base hormonale, les traitements issus de cette découverte ne substitueraient pas une dépendance à une autre. Espoir inédit. Ce projet inaugure une nouvelle stratégie pour lutter contre les dépendances. Stoppé. HMR ne veut pas associer son sigle au traitement des toxicomanies. Pudibonderie anglo-saxonne oblige...
La même hypocrisie avait conduit Roussel UCLAF à brader, en 1996, la première molécule anti-hormone, le RU 486 (mifépristone), dite pilule abortive, sous la pression du Vatican et des groupes intégristes aux USA. À l’époque le président de Roussel UCLAF, le Dr Édouard Sakiz, n’avait pas accepté le diktat américain. Depuis, Il a claqué la porte et créé un petit laboratoire privé, Exelgyn, pour fabriquer cette pilule " propriété morale des femmes ". Un pied de nez au gigantisme.
HMR persévère dans la logique inverse. Déjà, l’Humanité avait révélé, le 12 juin 1996, l’abandon de la RU 58668, un anti-estrogène très prometteur dans le traitement des cancers du sein, issus de dérèglements hormonaux. Deux cent cinquante mille femmes affrontent, chaque année dans le monde, cette maladie hautement mortelle. Mais pour la direction, le RU 58668 n’était pas susceptible de générer suffisamment de profits. Jean-Pierre Godard, le président de Roussel UCLAF nous avait avoué à l’époque que la " question fondamentale " pour lui, c’était : " Où en est le besoin médical non satisfait, qui a un potentiel suffisamment attractif pour que je mette mon argent dessus ? " Pas attractif, le RU 58668 ? Il dispose pourtant de hautes potentialités pour faire régresser les tumeurs, mais aussi pour réduire les métastases.
Jamais le divorce n’avait été aussi flagrant entre les besoins de santé et la course aux profits. Désormais, la seule obsession des dirigeants d’HMR, c’est de satisfaire l’appétit des fonds de pension américains. Objectif avoué, un taux de profit de 20 % à 30 % annuel ! C’est d’autant plus scandaleux qu’en France, HMR réalise 80 % de son chiffre d’affaires avec la Sécurité sociale. Hier, les laboratoires étaient dirigés par des scientifiques et/ou des capitaines d’industrie. Voici venue l’ère des financiers, tenanciers de molécules. Pourtant, sur 40 000 maladies identifiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seules 15 000 bénéficient de traitements.
Écouré, un chercheur de HMR nous confie : " Arrêter une molécule n’a rien de scandaleux, si c’est sur des critères scientifiques, en cas de toxicité, par exemple. Mais actuellement, les recherches sont stoppées sur des critères économiques. HMR estime qu’un produit doit être abandonné s’il ne rapporte pas au minimum 2,4 milliards de francs. " Tous les hypergroupes pharmaceutiques adoptant la même logique, ils se ruent sur les productions les plus rentables, destinés aux pays riches. Un autre scientifique de HMR déplore cette concurrence désastreuse : " On vend des médicaments comme des aspirateurs. Les coûts de marketing deviennent dix fois plus élevés que ceux de la recherche. Il y a dix ans, si un produit n’était pas au " top ", il passait à la poubelle. On lance désormais un produit même s’il n’est pas tout à fait au point, même s’il y a déjà dix médicaments identiques sur le marché. Cela se résume à une guerre à coups de pub. Il y a une perte de l’éthique. Je ne comprends pas l’intérêt de ce gigantisme. Il existe des petits laboratoires qui vivent bien. " Avec d’autres chercheurs et salariés d’HMR, il réfléchit à une solution alternative à la vente programmée du site de Romainville .
Cette logique du tout profit mène à une catastrophe planétaire. Les pays pauvres sont livrés à eux mêmes. Le prix Nobel de la paix 1999, Médecins sans frontières dénonce cette dérive : sur plus de 1 200 médicaments nouveaux, commercialisés depuis 1975, onze seulement servent à soigner une maladie tropicale. Ainsi la maladie du sommeil, transmise par la mouche tsé-tsé. L’OMS estime à 55 millions les personnes exposées dans la seule Afrique de l’ouest ; 300 000 cas par an. Sans traitement, la mort est inéluctable. Il en existait un, très risqué. Le médicament contient de l’arsenic, un poison qui achève jusqu’à 5 % des personnes traitées. Les chercheurs ont mis au point un médicament non toxique, l’Eflornithine. HMR qui a récupéré le produit, l’a finalement estimé trop coûteux et l’a retiré du marché ! L’allemand Hoechst (le H de HMR) et Rhône-Poulenc ont annoncé qu’ils renonçaient à la recherche d’un vaccin contre le sida. Parce qu’il est plus rentable de soigner lorsque la maladie est déclarée ? Il y a des crimes qui mériteraient d’être inscrits dans le Code pénal.
SeMina Kaci et Serge Garde
Article paru dans l'édition du 3 novembre 1999.