Faudra qu'il en parle à Douste.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 903,0.html ANALYSE
Santé : les contradictions de M. Douste-Blazy
LE MONDE | 28.10.04 | 16h47
C'était en 1993. A la question "Comment jugez-vous la loi Evin ?", Philippe Douste-Blazy, alors ministre délégué à la santé, répondait dans les colonnes du Monde : "Etant enseignant en santé publique et cardiologue, vous comprendrez que je suis un adepte de la prévention. Je crois qu'en termes de prévention de l'alcoolisme il appartient à l'Etat de remplir deux types de mission : d'une part s'occuper des quelque 2 millions de personnes dépendantes de l'alcool en France ; d'autre part orienter les comportements collectifs et, à cette fin, réglementer la publicité de manière à réduire les risques."
Onze ans plus tard, de retour avenue de Ségur avec un ministère de plein exercice, M. Douste-Blazy ne cesse de louvoyer dans la lutte contre l'alcoolisme et, plus globalement, dans sa manière de mener une politique de santé publique cohérente.
Il aura fallu la colère des professionnels de santé et de la Ligue contre la violence routière pour que le ministre s'engage "personnellement", lundi 18 octobre, à convaincre les parlementaires de renoncer à modifier la loi Evin. Après le vote par l'Assemblée, mercredi 13 octobre, d'un amendement assouplissant les règles de la publicité pour le vin, on aurait pu imaginer que M. Douste-Blazy soit le premier à regretter publiquement le choix des députés. Mais ce fut Gilles de Robien, ministre des transports, qui, dès le lendemain, regretta ce "mauvais coup contre la sécurité routière", puis Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, qui n'hésita pas à se dire "choquée par ce vote".
Avant eux, Didier Jayle, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), et Rémy Heitz, délégué interministériel à la sécurité routière, exhortaient le gouvernement, dans un point de vue publié dans Le Mondedu 23 juin, à ne pas "reculer" et faisaient remarquer que "la consommation d'alcool est le commun dénominateur des trois chantiers prioritaires du chef de l'Etat : lutte contre le cancer, sécurité routière et qualité de vie des personnes handicapées".
ALCOOLISME ET TABAGISME
Donnant l'impression de vouloir se racheter d'une faute, le ministre de la santé est venu soutenir au Sénat, mardi 19 octobre, lors de l'examen du projet de loi sur les droits des personnes handicapées, l'amendement présenté par la sénatrice Anne-Marie Payet (UDF, Réunion) prévoyant l'apposition sur les bouteilles d'alcool d'une mise en garde pour les femmes enceintes. "Ce n'est pas la première fois que je présente cet amendement", a fait remarquer Mme Payet. En juillet, lors de la discussion sur le projet de loi de santé publique, son initiative n'avait pas été retenue par le gouvernement. Là encore, il a fallu l'ouverture, par le parquet de Lille, début août, d'une enquête préliminaire sur les dangers pour le f¦tus de la consommation d'alcool pendant la grossesse pour que M. Douste-Blazy promette de légiférer.
"L'humain passe avant l'économie", a-t-il fait valoir devant les sénateurs, tout d'un coup plus combatif que devant les députés une semaine plus tôt. Mais comment peut-on d'un côté imposer un message sanitaire sur les bouteilles d'alcool et de l'autre assouplir les règles de la publicité ? Le ministre se saisira peut-être de cet argument pour inciter les parlementaires à revoir leur copie sur la loi Evin. Et puis comment justifier que l'Etat ne lance pas une "guerre" contre les ravages de l'alcool comme il le fait depuis plus d'un an contre le tabac, alors que l'alcoolisme provoque 45 000 décès par an, de multiples pathologies (cancers, cirrhoses, maladies cardio-vasculaires ou neurologiques), mais aussi des violences, notamment, conjugales.
Ce n'est pas la première fois que M. Douste-Blazy recule sur un dossier de santé publique. Ainsi, en juillet, le ministre a proposé et obtenu que les parlementaires revoient à la baisse le montant de la contribution que devront verser à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) les industriels de l'agroalimentaire dans le cadre de la lutte contre l'obésité infantile. Prévue à hauteur de 5 % du montant annuel des spots publicitaires diffusés, cette taxe a été ramenée à 1,5 %, et ce malgré l'appel lancé par les spécialistes de la nutrition et les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).
Pourtant, M. Douste-Blazy ne cesse de répéter, comme l'ont déjà fait ses prédécesseurs, qu'en matière de santé la France doit améliorer la prévention. "Allons-nous nous satisfaire de rester parmi les plus hauts consommateurs d'alcool du monde ? Allons-nous tolérer qu'une proportion importante de notre jeunesse devienne obèse ?", lançait, le 7 avril, M. Douste-Blazy devant les députés lors de son discours introductif sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique. "Comme médecin, ces constats me bouleversent. Comme ministre de la santé, ils fondent ma motivation à agir avec une détermination absolue", ajoutait-il, en soulignant qu'"une partie de la réponse réside dans notre capacité à organiser la prévention et à maîtriser les risques au niveau de la population".
Car, et c'est l'un des paradoxes français, si l'espérance de vie après 65 ans est la plus élevée des pays européens, en revanche, le niveau de mortalité prématurée (avant 65 ans) reste important du fait, notamment, des "comportements à risque". Alcoolisme, tabagisme, accidents de la circulation : "Une grande part de la mortalité prématurée pourrait être évitée par une amélioration de la prévention", expliquent les épidémiologistes, en demandant que la lutte contre ces morts "évitables" devienne "une priorité de santé publique". Le ministre reconnaît que "l'un des indicateurs les plus intéressants en santé publique est celui des "années de vie perdues" (AVP)". D'ailleurs la nécessité de "diminuer de 20 % la consommation annuelle moyenne d'alcool par habitant" est inscrite parmi les objectifs sanitaires de la loi de santé publique adoptée fin juillet.
Alors, faut-il laisser les parlementaires donner un coup de canif à la loi Evin ? M. Douste-Blazy a affirmé mercredi 28 octobre, à l'Assemblée, qu'il "déposerait au nom du gouvernement un amendement afin qu'il n'y ait pas de publicité sur les caractères qualitatifs de l'alcool", lors de la deuxième lecture au Sénat en janvier du texte sur les territoires ruraux. La bataille risque d'être rude pour convaincre les sénateurs. Alors que la pression du lobby viticole, relayée par des élus de droite comme de gauche, est engagée depuis plusieurs mois, la réaction de M. Douste-Blazy s'est pour le moins fait attendre. Au risque d'arriver trop tard.
Sandrine Blanchard