Université du cannabis : j'ai tout plaqué pour étudier à Oa
Posté: 04 Mai 2016, 13:37
Source: http://www.street-tease.com/revues/205- ... nabis.html
Université du cannabis : j'ai tout plaqué pour étudier à Oaksterdam
En 2010, la vie de Florent Buffière bascule suite à un contrôle positif au THC. Ecœuré par la procédure « kafkaïenne » qui en découle, ce fumeur régulier (ils sont plus de 5 millions en France) file en Californie pour suivre les cours d'une business school spécialisée dans l'industrie de la weed, dans un pays qui légalise à tout-va. Profondément bouleversé par son expérience, le trentenaire travaille aujourd'hui pour une entreprise dans le secteur du cannabis médical et milite en faveur de la légalisation sur le territoire français. Témoignage.
A l'heure qu'il est, Florent pourrait gagner 5000 balles par mois dans une « grosse boite bordelaise ». Mais le destin en a décidé autrement. Consommateur de weed depuis l'adolescence, il se découvre une âme militante suite à un contrôle positif au THC et à la procédure « kafkaïenne » qui en découle. Le jeune trentenaire décide alors de quitter son job pour suivre une formation à Oaksterdam. Rebaptisée « l'université du cannabis » par les initiés, la business school située à Oakland, dans la baie de San Francisco, propose trois mois de training intensif. Depuis l'ouverture du cursus en 2007, ils sont moins de 5 français à avoir suivi la formation.
Au programme, des cours de management et d'horticulture dispensés par des professionnels de l'industrie du cannabis. L'homme en ressort changé. Au Etats-Unis, la nouvelle législation a fait naître un marché florissant estimé à 7 milliards de dollars. Après un séjour dans le Colorado, « le paradis des fumeurs », Florent est de retour en Europe et travaille pour une entreprise tchèque dans le secteur du cannabis médical. L'occasion pour cet activiste de faire le point sur son cheminement personnel, le processus de légalisation aux US, et la situation française où le débat sur la prohibition est au point mort.
Tu as publié un manifeste en forme de coming out green. Pourquoi ?
Florent Buffière : J'ai décidé de ne plus me cacher afin de sensibiliser mes proches. J'ai toujours plus ou moins flirté avec le cannabis depuis mon adolescence. Après quelques sessions de gros abus avec les copains, j'ai adopté un usage occasionnel et plus maitrisé. J'essaye d'être plus responsable dans ma conso, en faisant pousser ma propre herbe, en sachant ce que je consomme et en évitant au maximum les rapports avec le marché noir. Comme beaucoup de consommateurs, j'ai toujours été sympathisant d'une légalisation sans réellement m'intéresser au sujet.
“En France, il est toujours mal vu de parler de légalisation du cannabis”
Comment en es‐tu arrivé à militer en faveur d'une législation plus souple ?
Tout bascule vraiment en 2010 suite à un contrôle positif au THC par test salivaire. Je suis alors un « jeune cadre dynamique », manager WEB/IT, dans une grosse boite bordelaise quand je me fais contrôler en pleine campagne corrézienne, 17 heures après avoir consommé quelques barres sur un joint. C'est la punition : 6 points retirés sur le permis, 6 mois de suspension, 2 ans de permis probatoire avec 4 visites médicales soumises à des tests urinaires négatifs, jugement au tribunal correctionnel… Sans parler de la peine invoquée qui implique une amende salée et une obligation de suivre un stage de sensibilisation. Fumeurs, soyez prévenus car c'est désormais systématique sur tout le territoire français.
Je vous passe les détails de la procédure humiliante à la gendarmerie : prise d’empruntes et ADN stockés ad vitam æternam dans un fichier aux cotés de criminels sans oublier le passage aux urgences. Passé quelques jours d'agacement, je finis par assumer. Professionnellement, je fais lâchement passer ça pour un contrôle d'alcoolémie, ce qui me vaut par ailleurs pas mal de tapes dans le dos. Au final, je me déplace en scooter 50 cm3 et je peux continuer à assumer mes responsabilités professionnelles.
Quel a été le facteur déclencheur de ton inscription à Oaksterdam ?
Ce qui m'a vraiment fait réagir, c'est la procédure kafkaïenne qui en découle. Les histoires personnelles des gens que j'ai pu rencontrer lors de ces visites médicales sont presque toutes les mêmes. Des usagers occasionnels s'étant fait prendre au hasard d'un contrôle routier alors qu'ils n’était pas sous l’emprise de stupéfiants. Pour moi, c'en est trop. Je me documente sur le cannabis mais surtout sur sa prohibition : son histoire, ses effets néfastes, son application impossible, les différents schémas de régulation possible... Je décide de m'impliquer auprès des acteurs luttant contre ce système pour tenter d'apporter mon aide et mettre fin à toutes ces dérives autoritaires. Je me rends compte assez vite que les actions sont presque impossibles du fait d'une liberté d'expression sur les stupéfiants muselée en France. Le mouvement national est éclaté et sclérosé par un manque de moyens tout en étant victime d'un acharnement du système judiciaire. En France, il est toujours mal vu de parler de légalisation du cannabis.
En fait, ça tombe plutôt bien, à 31 ans, je commençais à ne plus supporter ma vie de cadre en France. Quitte à faire un truc de sa vie, autant faire un truc fou. Je plaque donc tout à Bordeaux et m'inscris pour 3 mois de training intensif à Oaksterdam University, une business school qui propose des formations sur l’industrie du cannabis et située à Oakland, en Californie.
Que retiens-tu de ce cursus ?
C'était franchement l'expérience la plus enrichissante de ma vie ! Je pense n’avoir jamais emmagasiné autant de connaissances. Oaksterdam, c’est la formation de référence de l’industrie aux États‐Unis. J’y ai suivi un training d’horticulture pour le secteur médical ainsi qu’un autre sur le management de « canna‐businesses » et ce qu’ils appellent « l’Advocacy ». Les profs sont en majorité des grands universitaires, des professionnels reconnus de l’industrie ou des pionniers du militantisme pro‐cannabis qui se sont engagés en faveur de l'adoption de la loi « Prop215 », en 1996. (pour California Proposition 215 qui autorise pour la 1ère fois l’usage médical — NDR). Des gens vraiment tous plus inspirants les uns que les autres. Sur place, on vous enseigne tout le nécessaire pour devenir un entrepreneur responsable dans cette industrie si particulière. On fait aussi la rencontre de nombreux patients, souffrant de lourdes pathologies, qui nous expliquent comment ils utilisent le cannabis dans un but thérapeutique et comment cela à transformé leurs vies.
Toujours à Oakland, j’ai eu la chance de collaborer avec la Coalition for cannabis Policy Reform au début de la campagne pour la légalisation de « l’adult‐use » en Californie (Le modèle de régulation en vigueur dans le Colorado — NDR) qui va être votée cette année. La Californie c’est le « Big Domino », l’Etat qui fera basculer tous les autres vers la régulation, du fait d’une activité économique du cannabis médical très intense.
“La Californie, c’est le « Big Domino », l’état qui fera basculer tous les autres vers la régulation”
Par la suite, tu as fait un séjour dans le Colorado. Peux-tu nous en parler ?
Invité par GreenLabs, un espace de coworking accueillant uniquement des start‐up liées à l’industrie du cannabis, j'ai atterri à Denver pour prospecter et développer un projet de tourisme alternatif. Sur place, j’ai pu constater de l’intérieur l’effervescence autour de cette nouvelle économie. Le reste du temps, j'ai participé à des rencontres entre professionnels de l’industrie. J'ai aussi parcouru des salons spécialisés, suivi des conférences, des trainings, et même un workshop d’interpening (une méthode de sommellerie spécifique au cannabis — NDR).
Je ne me suis jamais senti aussi libre qu’au Colorado. La peur de se faire contrôler ou le jugement des autres disparaît très vite et on se sent enfin un citoyen à part entière lorsque l’on s'est procuré légalement son Eight d’ounce (3,5 g) de Golden Goat (Une variété d’herbe locale) de qualité au dispensaire du quartier.
Est-ce compliqué de travailler dans l'industrie du cannabis ?
Beaucoup de business sont tenus par des militants aguerris qui se sont transformés en entrepreneur. La régulation en vigueur oblige les professionnels à posséder différents types de badges délivrés par un organisme d’Etat. Il y a aussi des lois protectionnistes qui ont été mises en place. Par exemple, il faut habiter le Colorado depuis un certain temps (de 6 mois à 2 ans selon la nature de l’emploi) pour travailler dans l'industrie, sinon, c'est impossible. Idem pour les personnes auparavant condamnées à une infraction en relation avec le cannabis.
Mais qu'importe, avec la légalisation, une multitude d’emplois indirects ont été créés, on construit et on développe partout. Le Colorado, un peu oublié dans les terres du milieu, est désormais l’Etat le plus attractif en termes de flux migratoires internes aux US, hauts diplômés en tête. L’Etat est désormais celui qui compte le plus de bachelors par habitant. On ne compte plus le nombre de start‐up et entreprises IT déménageant leur siège à Denver ou Boulder. Le marché, même très jeune, est extrêmement dynamique. Les produits disponibles sont tous contrôlés, la teneur en cannabinoïdes est testée et est affichée à la revente.
Quelles sont les conséquences de cette industrialisation sur la demande ?
Au départ très axée sur les variétés fortement dosées en THC, elle fait désormais place aux variétés plus « médicinales ». Les américains que j’ai pu rencontrer était en majorité plus souvent en recherche de détente, de l’appréciation des terpènes, que de la grosse défonce. Quand ce n’était pas pour remplacer l’usage de médicaments (somnifères, antidouleurs, antidépresseurs, anxiolytiques...). D’un point de vue marketing, le cannabis est souvent présenté comme un « wellness product ». On est bien loin de la perception française où le cannabis incarne le mal absolu. Lorsque je demandais aux habitants ce qu’ils pensaient de cette nouvelle régulation, les deux points négatifs qui revenaient sans cesse étaient : l’installation massive des « out of state » et le coût du logement qui a de ce fait augmenté de plus de 30% en deux ans. Ce qui vaut désormais au Colorado le petit sobriquet de « Cali‐rado », en rapport aux tarifs exorbitants des loyers hors de prix californiens.
Le business du cannabis est en pleine expansion aux Etats-Unis. Sky is the limit ?
Avec un marché estimé à près de 7 milliards de Dollars, l’industrie du cannabis a participé de manière certaine à la relance de l’économie américaine depuis le début du processus de légalisation. L’année 2016 devrait marquer un tournant avec l’arrivée de la Californie dans la course pour arriver à un marché estimé à près de 22 milliards de dollars en 2020. Aujourd’hui, 86% des Américains vivent dans un Etat (24 au total) autorisant d’une façon ou d’une autre la consommation. De plus, 10 Etats devraient se prononcer sur le sujet dans les mois à venir, dont 7 pour un usage récréatif.
Cependant, le marché du cannabis légal risque d’être très compétitif dans les années à venir, et les réussites actuelles sont le plus souvent liées à des services en relation avec l’industrie qu'à des entreprises qui produisent elles-mêmes du cannabis. Même si la weed est souvent considérée comme une « mauvaise herbe » poussant toute seule, il est très compliqué de fabriquer un produit de qualité en quantité industrielle.
De plus en plus de sportifs américains prennent position publiquement en faveur du cannabis, notamment en NBA. Jay Williams demande à la ligue de tolérer la consommation quand Cliff Robinson monte un business. C’est totalement nouveau, non ?
La NFL est également concernée. En même temps, vu le rythme effréné des saisons américaines, on peut comprendre que les joueurs désirent se soulager à l’aide de cannabinoïdes naturels plutôt qu’avec des anti douleurs classiques pouvant s’avérer bien plus toxiques à la longue. Par rapport à la position publique qu’ils adoptent, c’est en fait très révélateur de la société américaine dans son ensemble. On ne compte plus les sorties dans le domaine du show-biz aussi : Rihanna, Snoop-Dog, Wiz Kalifa, Willie Nelson… font ouvertement la promotion de leurs marques et produits sur les réseaux sociaux.
Dans les médias aussi, avec de la journaliste Charlo Green qui quitte son poste en live pour se consacrer à son activité de caregiver en Alaska ou le sermon de Bill Maher qui s’allume un joint sur HBO. Même le journaliste et neurochirurgien Sanjay Gupta (le Michel Cymes Américain) ancien prohibitionniste pur et dur a retourné sa veste : il plaide désormais pour une autorisation urgente d’un usage médical au niveau fédéral dans une série de reportages diffusée sur sur CNN. En France, beaucoup de personnalités ne désirent pas s’exprimer sur le sujet, risquant de s’attirer les foudres de l'opinion publique. Aux US, c’est totalement l’inverse, de nombreuses célébrités et intellectuels prennent position en faveur de la légalisation. On peut les retrouver sur le site Marijuana Majority.
Selon toi, pourquoi cela coince encore et toujours France, notamment chez les politiques. La situation va-t-elle évoluer à court/moyen terme ?
Quand on voit l'hystérie médiatique autour de la récente sortie de Jean-Marie Le Guen sur la dépénalisation, on est vraiment pas prêt d’avancer. Chose encourageante cependant, de plus en plus de politiciens font le constat de l’échec des dispositifs de prohibition. Je ne m’attends à rien en France dans les années à venir, même si le débat semble s’ouvrir pour 2017. Le problème est que la loi actuelle sur les drogues datant de 1970 empêche toujours d'établir un débat rationnel. Le cannabis est un produit complexe, qui nécessite un vrai débat de fond, et les sorties isolées de certains responsables ne font que rajouter de la confusion. On doit déjà commencer par pourvoir légaliser le débat.
“Il n’est pas simple de fabriquer de la weed de qualité en quantité industrielle”
Quelle serait selon toi une régulation adaptée à la France ?
En l’état, un processus de légalisation est impossible. Il va falloir passer par plusieurs étapes qui à mon sens sont indispensables pour pouvoir entamer cette petite révolution. Déjà, il faut abroger la loi de 1970 et l’article L3421‐4 du code de la santé publique pour permettre de libérer la parole des usagers, mais aussi et surtout de dépénaliser l’usage simple. Dans le même temps, il faudrait autoriser la production personnelle pour un usage médical et réguler des cannabis social clubs pour l’usage récréatif sur un modèle proche de ceux que l’on peut trouver en Espagne. Ceux‐ci pouvant jouer dans le même temps le rôle de salles de consommation à moindre risque permettant de détecter et prévenir les usages abusifs.
Sans oublier un volet social permettant de réintégrer des populations mises de côté dans ces nouvelles structures. Une fois cette période d’expérimentation — qui partout ailleurs montre une amélioration significative des usages — on pourra aller plus loin. Je ne suis pas partisan d’un monopole d’Etat sur le modèle de l’ancienne SEITA, mais plus un modèle concurrentiel judicieusement taxé qui permettrait de développer un modèle économique proche de celui du vin et des spiritueux. Des petites exploitations développant des produits de qualité en quantité raisonnable. Le territoire français, avec ses hautes altitudes et ses côtes ensoleillées, regorge de différents terroirs profitables au cannabis. On pourrait donc imaginer la mise en place d’un tout nouveau secteur d’activité, estimé à 80.000 emplois directs.
Que fais-tu en ce moment ?
Je travaille à Prague pour alpha‐CAT où la législation tchèque est plus clémente pour les entreprises travaillant dans le domaine du cannabis médical. Je travaille notamment sur un projet R&D permettant d’identifier, stocker et comparer les profils chemotypes de cannabinoïdes issus des différentes variétés de chanvre, ce qui pourrait permettre d’adapter des prescriptions pour les patients traités avec du cannabis médical. En parallèle, j’essaye, à mon niveau, de participer à la professionnalisation nécessaire de certaines associations, en l’occurrence Chanvre & libertés – NORML France qui prône la régulation.
“L'interdiction du cannabis est une des plus grosses arnaques de l’histoire de l’humanité”
Du coup, le chanvre n'a pas très bonne publicité en France. Quelles sont ses vertues ?
Sans évoquer le volet thérapeutique, j’aimerais que les français puissent redécouvrir les propriétés industrielles presque infinies du chanvre, plante championne en production de biomasse, qui dépollue et reconstruit les sols tout en poussant sans engrais et avec très peu d'eau. Dans un monde asphyxié par le tout plastique, le cannabis nous permettrait de produire de façon durable du papier, des vêtements, de l'isolant, du plastique biodégradable, de l’éco‐carburant, de la nourriture aux qualités nutritives exceptionnelles et j’en passe...
Quand tu es en France, j'imagine que tu dois passer l'essentiel de ton temps à démonter les idées reçues sur le cannabis…
Il faut rappeler que le cannabis, considéré en tant que drogue, ne possède pas de dose létale, et n'entraîne pas de dépendance physique, mais reste cependant la substance la plus réprimée alors qu’elle est la moins dangereuse (Voir le rapport Roques). 90% de ses usagers n'en font pas un usage abusif ou problématique. Depuis la mise en place de sa prohibition, il a toujours été le produit « star » des trafiquants internationaux, occupant pour près de trois quart le volume de drogues consommés dans le monde. La théorie de l’escalade vers des drogues plus dures est une hérésie démontrée à maintes reprises, ce qui n’empêche pas que certains hommes et femmes politiques s’empressent de ressortir à chacune de leurs interventions sur le sujet. Il est toujours bon de rappeler que les lois sur les drogues sont bien plus destructives que les drogues elle mêmes, encore plus quand il s’agit de cannabis… L'interdiction du cannabis est une des plus grosses arnaques de l’histoire de l’humanité.
Florent est sur twitter sous le pseudo @meatshake. Il tweete principalement sur le cannabis et sa prohibition.
Calendrier
Marche mondiale du cannabis 2016 : le 7 mai en province, et le 14 à Paris.
L'appel du 18 juin à lire sur 18joint.fr
Propos recueillis par François Chevalier
Université du cannabis : j'ai tout plaqué pour étudier à Oaksterdam
En 2010, la vie de Florent Buffière bascule suite à un contrôle positif au THC. Ecœuré par la procédure « kafkaïenne » qui en découle, ce fumeur régulier (ils sont plus de 5 millions en France) file en Californie pour suivre les cours d'une business school spécialisée dans l'industrie de la weed, dans un pays qui légalise à tout-va. Profondément bouleversé par son expérience, le trentenaire travaille aujourd'hui pour une entreprise dans le secteur du cannabis médical et milite en faveur de la légalisation sur le territoire français. Témoignage.
A l'heure qu'il est, Florent pourrait gagner 5000 balles par mois dans une « grosse boite bordelaise ». Mais le destin en a décidé autrement. Consommateur de weed depuis l'adolescence, il se découvre une âme militante suite à un contrôle positif au THC et à la procédure « kafkaïenne » qui en découle. Le jeune trentenaire décide alors de quitter son job pour suivre une formation à Oaksterdam. Rebaptisée « l'université du cannabis » par les initiés, la business school située à Oakland, dans la baie de San Francisco, propose trois mois de training intensif. Depuis l'ouverture du cursus en 2007, ils sont moins de 5 français à avoir suivi la formation.
Au programme, des cours de management et d'horticulture dispensés par des professionnels de l'industrie du cannabis. L'homme en ressort changé. Au Etats-Unis, la nouvelle législation a fait naître un marché florissant estimé à 7 milliards de dollars. Après un séjour dans le Colorado, « le paradis des fumeurs », Florent est de retour en Europe et travaille pour une entreprise tchèque dans le secteur du cannabis médical. L'occasion pour cet activiste de faire le point sur son cheminement personnel, le processus de légalisation aux US, et la situation française où le débat sur la prohibition est au point mort.
Tu as publié un manifeste en forme de coming out green. Pourquoi ?
Florent Buffière : J'ai décidé de ne plus me cacher afin de sensibiliser mes proches. J'ai toujours plus ou moins flirté avec le cannabis depuis mon adolescence. Après quelques sessions de gros abus avec les copains, j'ai adopté un usage occasionnel et plus maitrisé. J'essaye d'être plus responsable dans ma conso, en faisant pousser ma propre herbe, en sachant ce que je consomme et en évitant au maximum les rapports avec le marché noir. Comme beaucoup de consommateurs, j'ai toujours été sympathisant d'une légalisation sans réellement m'intéresser au sujet.
“En France, il est toujours mal vu de parler de légalisation du cannabis”
Comment en es‐tu arrivé à militer en faveur d'une législation plus souple ?
Tout bascule vraiment en 2010 suite à un contrôle positif au THC par test salivaire. Je suis alors un « jeune cadre dynamique », manager WEB/IT, dans une grosse boite bordelaise quand je me fais contrôler en pleine campagne corrézienne, 17 heures après avoir consommé quelques barres sur un joint. C'est la punition : 6 points retirés sur le permis, 6 mois de suspension, 2 ans de permis probatoire avec 4 visites médicales soumises à des tests urinaires négatifs, jugement au tribunal correctionnel… Sans parler de la peine invoquée qui implique une amende salée et une obligation de suivre un stage de sensibilisation. Fumeurs, soyez prévenus car c'est désormais systématique sur tout le territoire français.
Je vous passe les détails de la procédure humiliante à la gendarmerie : prise d’empruntes et ADN stockés ad vitam æternam dans un fichier aux cotés de criminels sans oublier le passage aux urgences. Passé quelques jours d'agacement, je finis par assumer. Professionnellement, je fais lâchement passer ça pour un contrôle d'alcoolémie, ce qui me vaut par ailleurs pas mal de tapes dans le dos. Au final, je me déplace en scooter 50 cm3 et je peux continuer à assumer mes responsabilités professionnelles.
Quel a été le facteur déclencheur de ton inscription à Oaksterdam ?
Ce qui m'a vraiment fait réagir, c'est la procédure kafkaïenne qui en découle. Les histoires personnelles des gens que j'ai pu rencontrer lors de ces visites médicales sont presque toutes les mêmes. Des usagers occasionnels s'étant fait prendre au hasard d'un contrôle routier alors qu'ils n’était pas sous l’emprise de stupéfiants. Pour moi, c'en est trop. Je me documente sur le cannabis mais surtout sur sa prohibition : son histoire, ses effets néfastes, son application impossible, les différents schémas de régulation possible... Je décide de m'impliquer auprès des acteurs luttant contre ce système pour tenter d'apporter mon aide et mettre fin à toutes ces dérives autoritaires. Je me rends compte assez vite que les actions sont presque impossibles du fait d'une liberté d'expression sur les stupéfiants muselée en France. Le mouvement national est éclaté et sclérosé par un manque de moyens tout en étant victime d'un acharnement du système judiciaire. En France, il est toujours mal vu de parler de légalisation du cannabis.
En fait, ça tombe plutôt bien, à 31 ans, je commençais à ne plus supporter ma vie de cadre en France. Quitte à faire un truc de sa vie, autant faire un truc fou. Je plaque donc tout à Bordeaux et m'inscris pour 3 mois de training intensif à Oaksterdam University, une business school qui propose des formations sur l’industrie du cannabis et située à Oakland, en Californie.
Que retiens-tu de ce cursus ?
C'était franchement l'expérience la plus enrichissante de ma vie ! Je pense n’avoir jamais emmagasiné autant de connaissances. Oaksterdam, c’est la formation de référence de l’industrie aux États‐Unis. J’y ai suivi un training d’horticulture pour le secteur médical ainsi qu’un autre sur le management de « canna‐businesses » et ce qu’ils appellent « l’Advocacy ». Les profs sont en majorité des grands universitaires, des professionnels reconnus de l’industrie ou des pionniers du militantisme pro‐cannabis qui se sont engagés en faveur de l'adoption de la loi « Prop215 », en 1996. (pour California Proposition 215 qui autorise pour la 1ère fois l’usage médical — NDR). Des gens vraiment tous plus inspirants les uns que les autres. Sur place, on vous enseigne tout le nécessaire pour devenir un entrepreneur responsable dans cette industrie si particulière. On fait aussi la rencontre de nombreux patients, souffrant de lourdes pathologies, qui nous expliquent comment ils utilisent le cannabis dans un but thérapeutique et comment cela à transformé leurs vies.
Toujours à Oakland, j’ai eu la chance de collaborer avec la Coalition for cannabis Policy Reform au début de la campagne pour la légalisation de « l’adult‐use » en Californie (Le modèle de régulation en vigueur dans le Colorado — NDR) qui va être votée cette année. La Californie c’est le « Big Domino », l’Etat qui fera basculer tous les autres vers la régulation, du fait d’une activité économique du cannabis médical très intense.
“La Californie, c’est le « Big Domino », l’état qui fera basculer tous les autres vers la régulation”
Par la suite, tu as fait un séjour dans le Colorado. Peux-tu nous en parler ?
Invité par GreenLabs, un espace de coworking accueillant uniquement des start‐up liées à l’industrie du cannabis, j'ai atterri à Denver pour prospecter et développer un projet de tourisme alternatif. Sur place, j’ai pu constater de l’intérieur l’effervescence autour de cette nouvelle économie. Le reste du temps, j'ai participé à des rencontres entre professionnels de l’industrie. J'ai aussi parcouru des salons spécialisés, suivi des conférences, des trainings, et même un workshop d’interpening (une méthode de sommellerie spécifique au cannabis — NDR).
Je ne me suis jamais senti aussi libre qu’au Colorado. La peur de se faire contrôler ou le jugement des autres disparaît très vite et on se sent enfin un citoyen à part entière lorsque l’on s'est procuré légalement son Eight d’ounce (3,5 g) de Golden Goat (Une variété d’herbe locale) de qualité au dispensaire du quartier.
Est-ce compliqué de travailler dans l'industrie du cannabis ?
Beaucoup de business sont tenus par des militants aguerris qui se sont transformés en entrepreneur. La régulation en vigueur oblige les professionnels à posséder différents types de badges délivrés par un organisme d’Etat. Il y a aussi des lois protectionnistes qui ont été mises en place. Par exemple, il faut habiter le Colorado depuis un certain temps (de 6 mois à 2 ans selon la nature de l’emploi) pour travailler dans l'industrie, sinon, c'est impossible. Idem pour les personnes auparavant condamnées à une infraction en relation avec le cannabis.
Mais qu'importe, avec la légalisation, une multitude d’emplois indirects ont été créés, on construit et on développe partout. Le Colorado, un peu oublié dans les terres du milieu, est désormais l’Etat le plus attractif en termes de flux migratoires internes aux US, hauts diplômés en tête. L’Etat est désormais celui qui compte le plus de bachelors par habitant. On ne compte plus le nombre de start‐up et entreprises IT déménageant leur siège à Denver ou Boulder. Le marché, même très jeune, est extrêmement dynamique. Les produits disponibles sont tous contrôlés, la teneur en cannabinoïdes est testée et est affichée à la revente.
Quelles sont les conséquences de cette industrialisation sur la demande ?
Au départ très axée sur les variétés fortement dosées en THC, elle fait désormais place aux variétés plus « médicinales ». Les américains que j’ai pu rencontrer était en majorité plus souvent en recherche de détente, de l’appréciation des terpènes, que de la grosse défonce. Quand ce n’était pas pour remplacer l’usage de médicaments (somnifères, antidouleurs, antidépresseurs, anxiolytiques...). D’un point de vue marketing, le cannabis est souvent présenté comme un « wellness product ». On est bien loin de la perception française où le cannabis incarne le mal absolu. Lorsque je demandais aux habitants ce qu’ils pensaient de cette nouvelle régulation, les deux points négatifs qui revenaient sans cesse étaient : l’installation massive des « out of state » et le coût du logement qui a de ce fait augmenté de plus de 30% en deux ans. Ce qui vaut désormais au Colorado le petit sobriquet de « Cali‐rado », en rapport aux tarifs exorbitants des loyers hors de prix californiens.
Le business du cannabis est en pleine expansion aux Etats-Unis. Sky is the limit ?
Avec un marché estimé à près de 7 milliards de Dollars, l’industrie du cannabis a participé de manière certaine à la relance de l’économie américaine depuis le début du processus de légalisation. L’année 2016 devrait marquer un tournant avec l’arrivée de la Californie dans la course pour arriver à un marché estimé à près de 22 milliards de dollars en 2020. Aujourd’hui, 86% des Américains vivent dans un Etat (24 au total) autorisant d’une façon ou d’une autre la consommation. De plus, 10 Etats devraient se prononcer sur le sujet dans les mois à venir, dont 7 pour un usage récréatif.
Cependant, le marché du cannabis légal risque d’être très compétitif dans les années à venir, et les réussites actuelles sont le plus souvent liées à des services en relation avec l’industrie qu'à des entreprises qui produisent elles-mêmes du cannabis. Même si la weed est souvent considérée comme une « mauvaise herbe » poussant toute seule, il est très compliqué de fabriquer un produit de qualité en quantité industrielle.
De plus en plus de sportifs américains prennent position publiquement en faveur du cannabis, notamment en NBA. Jay Williams demande à la ligue de tolérer la consommation quand Cliff Robinson monte un business. C’est totalement nouveau, non ?
La NFL est également concernée. En même temps, vu le rythme effréné des saisons américaines, on peut comprendre que les joueurs désirent se soulager à l’aide de cannabinoïdes naturels plutôt qu’avec des anti douleurs classiques pouvant s’avérer bien plus toxiques à la longue. Par rapport à la position publique qu’ils adoptent, c’est en fait très révélateur de la société américaine dans son ensemble. On ne compte plus les sorties dans le domaine du show-biz aussi : Rihanna, Snoop-Dog, Wiz Kalifa, Willie Nelson… font ouvertement la promotion de leurs marques et produits sur les réseaux sociaux.
Dans les médias aussi, avec de la journaliste Charlo Green qui quitte son poste en live pour se consacrer à son activité de caregiver en Alaska ou le sermon de Bill Maher qui s’allume un joint sur HBO. Même le journaliste et neurochirurgien Sanjay Gupta (le Michel Cymes Américain) ancien prohibitionniste pur et dur a retourné sa veste : il plaide désormais pour une autorisation urgente d’un usage médical au niveau fédéral dans une série de reportages diffusée sur sur CNN. En France, beaucoup de personnalités ne désirent pas s’exprimer sur le sujet, risquant de s’attirer les foudres de l'opinion publique. Aux US, c’est totalement l’inverse, de nombreuses célébrités et intellectuels prennent position en faveur de la légalisation. On peut les retrouver sur le site Marijuana Majority.
Selon toi, pourquoi cela coince encore et toujours France, notamment chez les politiques. La situation va-t-elle évoluer à court/moyen terme ?
Quand on voit l'hystérie médiatique autour de la récente sortie de Jean-Marie Le Guen sur la dépénalisation, on est vraiment pas prêt d’avancer. Chose encourageante cependant, de plus en plus de politiciens font le constat de l’échec des dispositifs de prohibition. Je ne m’attends à rien en France dans les années à venir, même si le débat semble s’ouvrir pour 2017. Le problème est que la loi actuelle sur les drogues datant de 1970 empêche toujours d'établir un débat rationnel. Le cannabis est un produit complexe, qui nécessite un vrai débat de fond, et les sorties isolées de certains responsables ne font que rajouter de la confusion. On doit déjà commencer par pourvoir légaliser le débat.
“Il n’est pas simple de fabriquer de la weed de qualité en quantité industrielle”
Quelle serait selon toi une régulation adaptée à la France ?
En l’état, un processus de légalisation est impossible. Il va falloir passer par plusieurs étapes qui à mon sens sont indispensables pour pouvoir entamer cette petite révolution. Déjà, il faut abroger la loi de 1970 et l’article L3421‐4 du code de la santé publique pour permettre de libérer la parole des usagers, mais aussi et surtout de dépénaliser l’usage simple. Dans le même temps, il faudrait autoriser la production personnelle pour un usage médical et réguler des cannabis social clubs pour l’usage récréatif sur un modèle proche de ceux que l’on peut trouver en Espagne. Ceux‐ci pouvant jouer dans le même temps le rôle de salles de consommation à moindre risque permettant de détecter et prévenir les usages abusifs.
Sans oublier un volet social permettant de réintégrer des populations mises de côté dans ces nouvelles structures. Une fois cette période d’expérimentation — qui partout ailleurs montre une amélioration significative des usages — on pourra aller plus loin. Je ne suis pas partisan d’un monopole d’Etat sur le modèle de l’ancienne SEITA, mais plus un modèle concurrentiel judicieusement taxé qui permettrait de développer un modèle économique proche de celui du vin et des spiritueux. Des petites exploitations développant des produits de qualité en quantité raisonnable. Le territoire français, avec ses hautes altitudes et ses côtes ensoleillées, regorge de différents terroirs profitables au cannabis. On pourrait donc imaginer la mise en place d’un tout nouveau secteur d’activité, estimé à 80.000 emplois directs.
Que fais-tu en ce moment ?
Je travaille à Prague pour alpha‐CAT où la législation tchèque est plus clémente pour les entreprises travaillant dans le domaine du cannabis médical. Je travaille notamment sur un projet R&D permettant d’identifier, stocker et comparer les profils chemotypes de cannabinoïdes issus des différentes variétés de chanvre, ce qui pourrait permettre d’adapter des prescriptions pour les patients traités avec du cannabis médical. En parallèle, j’essaye, à mon niveau, de participer à la professionnalisation nécessaire de certaines associations, en l’occurrence Chanvre & libertés – NORML France qui prône la régulation.
“L'interdiction du cannabis est une des plus grosses arnaques de l’histoire de l’humanité”
Du coup, le chanvre n'a pas très bonne publicité en France. Quelles sont ses vertues ?
Sans évoquer le volet thérapeutique, j’aimerais que les français puissent redécouvrir les propriétés industrielles presque infinies du chanvre, plante championne en production de biomasse, qui dépollue et reconstruit les sols tout en poussant sans engrais et avec très peu d'eau. Dans un monde asphyxié par le tout plastique, le cannabis nous permettrait de produire de façon durable du papier, des vêtements, de l'isolant, du plastique biodégradable, de l’éco‐carburant, de la nourriture aux qualités nutritives exceptionnelles et j’en passe...
Quand tu es en France, j'imagine que tu dois passer l'essentiel de ton temps à démonter les idées reçues sur le cannabis…
Il faut rappeler que le cannabis, considéré en tant que drogue, ne possède pas de dose létale, et n'entraîne pas de dépendance physique, mais reste cependant la substance la plus réprimée alors qu’elle est la moins dangereuse (Voir le rapport Roques). 90% de ses usagers n'en font pas un usage abusif ou problématique. Depuis la mise en place de sa prohibition, il a toujours été le produit « star » des trafiquants internationaux, occupant pour près de trois quart le volume de drogues consommés dans le monde. La théorie de l’escalade vers des drogues plus dures est une hérésie démontrée à maintes reprises, ce qui n’empêche pas que certains hommes et femmes politiques s’empressent de ressortir à chacune de leurs interventions sur le sujet. Il est toujours bon de rappeler que les lois sur les drogues sont bien plus destructives que les drogues elle mêmes, encore plus quand il s’agit de cannabis… L'interdiction du cannabis est une des plus grosses arnaques de l’histoire de l’humanité.
Florent est sur twitter sous le pseudo @meatshake. Il tweete principalement sur le cannabis et sa prohibition.
Calendrier
Marche mondiale du cannabis 2016 : le 7 mai en province, et le 14 à Paris.
L'appel du 18 juin à lire sur 18joint.fr
Propos recueillis par François Chevalier